Celle-ci vient à notre rencontre avec un large sourire qui nous rassure immédiatement et nous emmène dans son bureau surchargé de ses livres, de ses récompenses et de ses photos aux côtés de personnages politiques internationaux.
L’interview fut extrêmement intéressante et, une fois n’est pas coutume, notre interviewée s’est contentée de répondre simplement et synthétiquement à nos questions. Nous allons ici essayer de vous faire un compte rendu rapide des grandes idées que Vandana Shiva a voulu nous faire passer. L’interview s’est faite en deux parties. La première sur la politique agraire de l’Inde et notamment sur la révolution verte qui a bouleversé les façons de cultiver en Inde dès 1965 et la seconde sur notre problématique du lien à la terre et sur son importance aux yeux des indiens et de Vandana Shiva.
La révolution verte et la politique agricole de l’Inde
Nos premières questions ont été à propos de la révolution verte, grande révolution agricole qui changea complètement le visage rural de l’Inde.
En 1965, l’Inde connu une sécheresse et donc une récolte moins bonne qu’une année normale. Cela n’entraîna pas de famine, mais une hausse des prix alimentaires dans les villes. Or à cette époque, l’Inde était en pleine révolution industrielle. Les ouvriers, payés avec des salaires insuffisants pour survivre à cette crise, sont repartis dans leurs villages où la nourriture était directement produite par leur famille et donc gratuite. L’Inde s’est alors tournée vers les Etats-Unis leur demandant d’augmenter les exportations de blé et ainsi faire baisser les prix. Ces derniers ont tout simplement refusé à moins que l’agriculture indienne accepte de leur servir de champ expérimental. Les scientifiques américains venaient de mettre au point de nouvelles semences à haut rendement lorsqu’elles sont cultivées avec engrais et pesticides. Le Premier ministre indien de l’époque, Lâl Bahâdur Shâstrî répondit que l’Inde était un grand pays avec des millions de paysans dépendant directement de l’agriculture pour survivre et que par conséquent, elle ne pouvait pas se permettre de faire une telle expérimentation sans garanti de succès. Il n’y eu donc pas de livraison américaine de blé. Quelque temps plus tard, Lâl Bahâdur Shâstrî mourut mystérieusement lors d’une visite en URSS. Ses proches disent qu’il a été empoisonné, mais personne ne sait ce qu’il s’est vraiment passé. Indira Gandhi, qui assura la période de transition, continua à subir les pressions des Etats-Unis d’un côté et de la Banque Mondiale de l’autre (elle-même travaillant sous la direction des Etats-Unis). Pour obliger l’Inde à franchir le pas, celle-ci dévalua la monnaie indienne et conditionna les prêts agricoles aux exploitations utilisant ces nouvelles variétés. Quand un petit agriculteur était rattrapé par les hasards de la vie, un mariage, un toit à refaire ou un buffle à remplacer, il n’avait plus d’autres choix que d’acheter les semences pour obtenir un prêt. Indira Gandhi finit donc par céder et l’agriculture changea peu à peu.
Mais les Etats-Unis ne se sont pas arrêtés là. À la demande de sociétés comme Monsanto, ils ont créé un nouvel accord international appelé « the trade-related aspects of intellectual property rights » (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) commandité par l’OMC. Depuis cet accord, il est possible de breveter le vivant. Si des scientifiques introduisent gène utile dans une plante ou s’ils découvrent un gène attribuant un caractère utile à une plante déjà existante, par exemple un gène de résistance à la sècheresse, ils pourront breveter leur découverte. La plante appartiendra alors au laboratoire. Si bien que certains paysans qui utilisaient les mêmes variétés depuis des générations et des générations sont obligés du jour au lendemain de payer « comme des droits d’auteurs » à une grande multinationale pour avoir le droit d’utiliser chaque année leurs propres semences. C’est à cause de ces nouvelles lois qu’il a été possible d’imposer aux agriculteurs indiens des graines brevetées, donc payantes et ainsi enrichir les multinationales agroalimentaires. L’OMC et la Banque Mondiale ont poussé à un monopole injuste de quelques firmes comme Monsanto, si bien que dans les zones de coton BT, les cotonniers n’ont pas d’autre choix que d’acheter la semence Monsanto.
Depuis l’arrivée du coton BT (coton qui produit son propre insecticide), des régions mal adaptées aux exigences des cultures OGM, voient leurs paysans se suicider les uns après les autres en avalant des litres de pesticides.
Mais l’histoire n’est pas finie. Depuis l’entrée de Monsanto dans le pays, les dossiers en justice s’empilaient, parce que bien que l’OMC ait changé les lois sur les semences, elle n’avait pas changé certaines lois environnementales. Or celles-ci, pour protéger l’environnement d’une dissémination non contrôlée des OGM, interdisaient l’utilisation de semences génétiquement modifiées dans les campagnes indiennes. Les Etats-Unis ont donc signé directement un accord avec l’Inde qui lança définitivement le pays dans la seconde révolution verte, la révolution OGM. Il peut paraître étonnant que l’Inde est acceptée aussi facilement d’être à nouveau choisie comme champ expérimental... à moins que le contrat d’alliance nucléaire, signé au même moment, n’ait servi de monnaie d’échange...
« Là où la révolution verte est passée, on trouve des gens tristes et endettés, des terres désertiques, et une biodiversité anéantie. »
A l'heure où on écrit ces lignes, de plus en plus de petits propriétaires perdent leurs terres aux profits de nouveaux et toujours plus grands propriétaires qui n’appartiennent même plus aux classes agricoles. Les nouveaux riches qui profitent de la croissance économique sont ses nouveaux propriétaires terriens, mais on trouve aussi des banques américaines et européennes qui spéculent sur le foncier. La plupart de ces terres retirées à l’agriculture sont laissées à l’abandon en attendant que les cours montent, et pendant que 300 000 000 d’indiens souffrent de malnutrition.
Et à ceux qui prétendent que ces techniques sont nécessaires pour nourrir le monde et que nous allons devoir nous servir des OGMs pour subvenir aux besoins d’une population toujours plus
Premièrement, elle a augmenté la production de riz et de blé, mais elle a diminué la production de lentilles, détruit la production de légumes et surtout la diversité de l’agriculture indienne. Les terres du Punjab qui faisaient pousser 250 cultures différentes ne font maintenant plus que du blé, du riz et un peu de coton dans le sud-ouest. L’augmentation de production du riz et du blé s’est faite au dépend des autres productions. Si on compare toutes les productions, l’Inde produit moins de nourriture.
Deuxièmement, l’Inde n’avait pas besoin de ces variétés haut rendement et on aurait pu utiliser les espèces rustiques en agriculture biologique. L’augmentation de la production de céréales n’a pas été la conséquence d’un miracle des engrais et des produits chimiques mais tout simplement de la disponibilité de terres. Si on met en culture céréalière plus de terre, il est logique que la production augmente.
Pour ce qui est des cultures génétiquement modifiées, ce n’est pas un gène de meilleur rendement qu’on leur a ajouté mais un gène de résistance à un herbicide ou un gène qui permet à la plante de produire un insecticide. Il n’y a donc aucune amélioration du point de vue de la quantité de nourriture obtenue et même une détérioration de la nourriture qui est de plus en plus polluée par de puissants produits chimiques.
« L’agriculture biologique est en fait le seul moyen de nourrir la planète ».
Cette agriculture biologique devrait être faite de petites exploitations familiales suffisamment
Cette révolution agricole bio implique donc plus de propriétaires et un maintien des agriculteurs à la campagne alors que, comme on l’a dit plus tôt, ceux-ci, accablés par la pauvreté, partent chercher du travail en ville. Payer les agriculteurs à un prix normal est, selon notre écologiste, un moyen infaillible pour maintenir les gens à la campagne et sûrement même pour en faire revenir d’autres. D’après elle, en subventionnant les entreprises agroalimentaires et donc en baissant artificiellement les prix, la mondialisation aurait pris aux paysans indiens 25 milliards de dollars par an depuis que les règles de l’OMC ont été instaurées. Si les paysans sont si pauvres c’est parce qu’ils gagent autant de moins, alors que des entreprises comme Monsanto font des profits faramineux en vendant des semences à 100 fois leur valeur réelle, des pesticides et autres produits chimiques.
Aujourd’hui, les gouvernements du monde sont capables de donner des centaines de milliards de dollars pour renflouer les banques, pourtant c’est l’agriculture biologique qui aurait besoin d’être renflouée afin assurer aux agriculteurs un prix juste et pour permettre aux prochaines générations de retourner à la terre. Pour certains agronomes, ce serait la seule solution pour éradiquer la faim dans la monde.
L’Inde et son rapport mystique à la terre
Il faut, selon notre scientifique, pas plus de 5 ans de pratiques culturales chimiques pour perdre toute connaissance et tout souvenir d’un sol et d’une terre vivante. À travers son association, Navdanya, Vandana Shiva enseigne aux paysans l’agriculture biologique. Pour eux c’est une grande surprise de voir que l’urée est un sel qui, saupoudré sur des vers de terre, les tue, et que sans vers de terre, le sol meurt. Pour eux c’est une surprise d’apprendre à nouveau que la terre est vivante.
Est-ce que les paysans qui ont connu les tracteurs et la simplification chimique seront capables de revenir en arrière ? Selon Vandana Shiva, tout est une question d’éducation, nous avons une société qui considère que travailler avec ses mains est dégradant alors qu’être assis devant un ordinateur toute la journée et gérer des comptes bancaires et de grandes fortunes est gratifiant. C’est pourquoi, ceux qui ont perdu des milliards de dollars dans la crise gagnent des millions de dollars et que ceux qui travaillent la terre à la main ne gagnent même pas de quoi se nourrir correctement. D’après Vandana Shiva, elle-même agricultrice, « il n’y a rien de plus satisfaisant que de travailler la terre, il n’y a rien de plus libre que de travailler la terre, il n’y a rien de plus sain que de travailler la terre ».
« Nous avons besoin d’une autre éducation qui célèbrerait le travail de la terre. Nous avons besoin d’une autre éducation qui enseignerait que c’est une activité passionnante. »
Pour notre écrivain, notre perte de lien à la terre relève d’un tout. Il faut que la société évolue dans son ensemble, qu’elle comprenne qu’acheter quelque chose dans un supermarché n’est pas la destiné de la vie humaine, que d’enfoncer quelqu’un au nom de la compétition ne fait pas partie de notre nature humaine. Coopérer c’est humain, donner c’est humain, partager c’est humain. Nous avons juste laissé cette partie de notre être se faire submerger petit à petit. « Nous devons la réactiver, polir nos âmes et les faire briller à nouveau. »
Finalement, la véritable question qu’on doit se poser, c’est qu’elle est la place de l’homme sur cette terre ? « Il nous faut redéfinir le sens de notre vie sur terre avec une nouvelle idée de nous-même : qui sommes-nous ? » Selon Vandana Shiva, la terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la terre. Lorsque nous la polluons, lorsque nous la blessons, lorsque nous la tuons, nous nous autodétruisons. « Pour moi être gentil avec la terre, c’est être gentil avec soi-même et être gentil avec les autres »
Et juste avant de finir, l’agronome qu’elle est, a senti bon de préciser : « Mais nous ne pourrons redécouvrir notre véritable nature humaine qu’à travers la redécouverte de la terre comme une véritablement entité vivante. »