lundi 9 février 2009

Rencontre avec Marc Dufumier

Pour notre film, il nous manquait un spécialiste agronome qui puisse nous dresser un bilan objectif de la situation agricole française et mondiale. Lors d’une conférence intitulée “la crise alimentaire mondiale”, Sophie a pu rencontrer l’intervenant principal, Marc Dufumier. Une semaine plus tard, nous avions rendez-vous dans ses bureaux à Paris. M. Dufumier est un célèbre agronome, enseignant-chercheur à l’ “institut national agronomique de Paris-Grignon (INA PG) ou récemment renommée Agro Paris Tech. Il est spécialiste du secteur “agriculture comparée et développement agricole” et est donc très au fait des problématiques mondiales auxquelles est confrontée l’agriculture. M. Dufumier a plus récemment participé aux Grenelles de l’environnement et fait régulièrement parti des conseillers agricoles du Président de la République. Dès nos premières questions, nous avons pu sentir que nous avions affaire à un homme public, attentif à faire passer son message.

Après avoir mis l'accent sur les dangers que court l'agriculture actuelle : perte de biodiversité, perte des savoirs-faire paysans, perte de diversité culturelle, il a surtout détaillé les mécanismes de marginalisation des sociétés paysannes. En effet, depuis l’après-guerre et l’apparition des techniques modernes dans l’agriculture, les agriculteurs les plus riches investissent progressivement dans du matériel, des intrants et des variétés à haut rendement. Ainsi, ils augmentent leur productivité, font des économies d’échelle et abaissent leurs coûts de production. Ils peuvent ainsi vendre moins cher et en grande quantité. Pour le petit paysan qui travaille encore à la main, il est impossible de s'aligner sur les mêmes prix. C'est ainsi que des millions de paysans s'endettent jusqu’à être obligé de vendre leur terre. Devenus ce que l’on appelle des « paysans sans terre », certains décident de quitter leur campagne pour les bidonvilles, d’autres squattent les forets encore vierges et d’autres tentent la traversée vers l’Europe. Dans ces pays aussi, les migrants créent des conflits qui peuvent dégénérer jusqu'à des guerres que l'on qualifie toujours d'ethniques ou de religieuses sans s'interroger sur la véritable origine du déséquilibre. Ces grandes migrations mondiales de paysans pauvres résultent donc d’une concurrence déloyale entre agriculteurs, un agriculteur de type industriel est jusqu'à 200 fois plus productif qu'un petit agriculteur qui travaille encore à la main. Pourtant, l’un et l’autre sont mis en concurrence sur un même marché mondial. "On leur [petits paysans] dit : vous êtes coureur à pied, essayez de courir derrière un pilote de formule 1" nous explique-t-il. Et comble de l’injustice, ce sont justement les agricultures mécanisées qui perçoivent les subventions agricoles !

Régulièrement au cours de l’interview, il a voulu nous faire passer ce message : « Le premier défi [de l'agriculture française], c'est de redevenir raisonnable ». En effet, nous avons exagérément spécialisé notre agriculture qui se retrouve excédentaire pour certains produits comme le lait, le sucre ou le blé. Nous essayons donc de les refourguer aux pays du Sud à bas prix soit à travers l'aide alimentaire soit à travers les exportations subventionnées. Pour beaucoup, cela est considéré comme un geste altruiste car nous vendons nos denrées à un prix inférieur à leur valeur réelle voir même gratuitement lorsqu’il s’agit d’aide alimentaire. Les populations des villes africaines, asiatiques ou sud américaines bénéficient alors de produits moins chers. Pourtant, en bradant nos productions, nous faisons beaucoup de tort à ces pays. En effet, les producteurs locaux, encore majoritairement non mécanisés, ne peuvent s'aligner sur ces prix artificiellement bas et n'arrivent plus à vendre leur propre production. Or lorsqu’on sait que la grande majorité des malnutris de notre planète sont des ruraux qui dépendent fortement des revenus agricoles, ce n’est pas leur faire un cadeau que de les empêcher de vendre leurs récoltes. C’est une autre manière de créer encore plus de paysans sans terre.

Par « redevenir raisonnable », M. Dufumier voulait aussi parler de nos systèmes agricoles. Que ce soit en élevage ou en grande culture, ces derniers sont très exigeants en énergies fossiles (transport, intrants, machines agricoles) et produisent une nourriture de faible qualité. Pour revenir à une agriculture raisonnable, il faudrait donc par exemple se protéger des importations de protéagineux. Pourquoi acheter du soja transgénique en provenance du Brésil, de l’Argentine ou des Etats-Unis, quand on pourrait nourrir nos propres animaux avec des fourrages de très haute qualité ? On se retrouve avec des régions comme la Bretagne spécialisée en élevage, embarrassée par les déchets animaux riches en nitrate, et des régions comme la Beauce, spécialisée en céréales, déficitaire en nitrate. Là aussi la spécialisation n’est pas raisonnable. Pourquoi ne pas diversifier les productions régionales, associer cultures et élevages et utiliser les déchets animaux pour nourrir les sols de grandes cultures ? Il faudrait rapprocher nos systèmes de productions des potentiels de fertilité de nos terroirs, revenir à une agriculture adaptée à nos écosystèmes. « La seule agriculture qui soit raisonnable, c’est une agriculture agro écologiquement intensive, c’est-à-dire qui fasse une utilisation intensive de l’énergie lumineuse de l’azote de l’air et de toutes les autres ressources naturelles renouvelables et un usage minimum, proche de 0 des ressources périssables », nous persuade-t-il.

Selon, notre spécialiste, la reconversion de notre agriculture vers l’agro écologie intensive devra se faire par une redistribution des aides de la PAC. L’idée est que les agriculteurs soient payés par la vente de leurs produits agricoles et plus par les subventions. On pourrait commencer ce mouvement de reconversion en passant progressivement les cantines des écoles de France au bio. Les agriculteurs, sûrs de pouvoir trouver un marché croissant dans l’avenir, se lanceraient sans trop de risque dans la reconversion.

Cette agriculture serait régie par un cahier des charges mis en place par les consommateurs eux-mêmes, car les clients ne seraient plus les grandes surfaces et les quelques centrales d’achats qui monopolisent actuellement le marché de l’alimentation. Revenu à un marché local, on remettrait donc en contact deux mondes qui ont été trop longtemps séparés : les agriculteurs et les gens qu’ils nourrissent.

Revenir à une agriculture raisonnable nécessite plus d’attention de la part des agriculteurs et donc plus d’agriculteurs. Or aujourd’hui lorsqu’une exploitation disparaît, la plupart du temps, celle-ci est partagée entre les exploitations alentours. La tendance actuelle est toujours à l’agrandissement des quelques exploitations qu’il reste, donc à une mécanisation toujours plus puissante et à une diminution du nombre d’actifs agricoles. Pourtant, en ces temps de crise, l’agriculture pourrait être vu comme une source extraordinaire d’emplois si on facilitait l’accès à la terre de néo-agriculteurs.

D’autant plus que la demande semble être là. Aujourd’hui, 1/3 des gens qui reprennent une exploitation sont des néo-ruraux. Ce sont d’ailleurs eux qui sont souvent les plus écologiques. Étant donné le prix du foncier en France, ils démarrent la plupart du temps de seulement quelques hectares. La seule façon pour eux de vivre de leur métier est donc de valoriser leur production en la vendant bio.

Pour ce qui est des fils d’agriculteurs qui souhaitent passer au bio, la reconversion est souvent très difficile. En effet, les investissements dans le conventionnel sont si importants (tracteurs, bâtiments et autres machines agricoles...) que les agriculteurs sont contraints de s’endetter pendant en moyenne 15 ans pour rembourser leurs prêts. Les jeunes fils d’agriculteurs hésitent donc, et à juste titre, à réinvestir pour se lancer dans le bio.M. Dufumier voudrait remettre l'agriculteur à sa place. Aujourd'hui, les orientations agricoles sont prises par des politiques et des scientifiques coupés des réalités du terrain. Il est temps de renouer le contact entre agriculteurs, scientifiques et politiques. Il est nécessaire de rééduquer les agriculteurs sur ces nouvelles manières de produire que sont le bio ou l’agro écologie. Mais il faut aussi et surtout rééduquer les agronomes qui sont bien souvent eux aussi hyper spécialisés. Or il est nécessaire d’avoir une ouverture d’esprit suffisamment grande pour entamer un dialogue, un échange et un apprentissage réciproque entre experts et agriculteurs.

Car experts et agriculteurs ont plus que jamais autant besoin l’un de l’autre...


Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Marc Dufumier, nous avons mis un lien sur notre blog dans la rubrique "Articles à lire" sur un article intitulé "Ce riche savoir-faire des paysans du Sud".

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci de partager avec nous ces riches rencontres. Puissent-elles, et notament par votre relais, avoir un echo substantiel dans nos sociétés égarées...