Le temple du soleil, celui de Vishnu et celui de sa femme protègent la petite ville
de Bankey Bazar (2000 hab). Située à quelques dizaines de kilomètres de Gaya et 250 de Varanassi, capitale religieuse de l'Inde hindouiste, cette petite ville n'en est pas moins musulmane. Son autre particularité est d'acceuillir un centre d'Ekta Parishad, association paysanne dont le but est d'unir les pauvres des campagnes (dont la plupart sont paysans) sous une même bannière et de porter leurs revendications à l'échelle nationale. Longtemps, cette population, pourtant majoritaire, n'a pu se défendre à cause de son isolement, de sa pauvreté et de son analphabétisme. Aujourd'hui, l'espoir renait peu a peu.
Ici, a Bankey Bazar, la terre est un enjeu majeur. C'est en effet une ressource qui se fait de plus en plus rare quand la population est de plus en plus nombreuse. A chaque génération, on distribue toujours moins de terre. Aujourd'hui, beaucoup de familles doivent se contenter d'un acre (0.40 hectare) alors que d'autres possèdent jusqu'à 10 hectares ou (25 acres) et que le gouvernement ou les temples possèdent la majorité des terres qu'ils laissent à l'abandon.
Face à cela, certains pauvres soutiennent Ekta Parishad et leurs actions, mais d'autres ont pris les armes et ont rejoint l'armée des Naxalites. Il y a 10 ans, lorsque ce mouvement rebel s'est formé, ces robins des bois des temps modernes volaient les riches (pillages, enlèvements, occupations de terres...) pour donner aux pauvres. Ils attaquaient également les postes de police locaux et assassinaient même parfois les officiers qui soutenait la cause des grands propriétaires à coup de liasses de billets passées sous la table. Aujourd'hui, les actions sont toujours les mêmes, mais la part redistribuée aux pauvres a tendance à diminuer lorsqu'elle passe entre les mains de leaders rebelles peu scrupuleux. Si un jour vous croisez en Inde un sans-terre bien habillé, méfiez-vous, il pourrait vous enlever pour réclamer une rançon !
D'autres comme Ekta Parishad ont choisi la voie de la non-violence. Leurs objectifs sont les mêmes, mais leurs moyens d'actions s'appuient sur la désobéissance civile. Pour récupérer des terres, ils s'organisent en groupe de 100 a 200 personnes et commencent à cultiver les terres
inexploitées des temples ou de l'office gouvernemental des forêts. Lorsque la police arrive, ils revendiquent ces terres pour ceux qui en ont besoin et qui la travaillent comme ils sont en train de le faire. La police arrête généralement une demi-douzaine de personnes, mais devant l'innébranlable motivation de ces sans-terres, le gouvernement renonce dans tous les cas et donne ses terres. Depuis 2001, début de la présence d'Ekta Parishad à Bankey Bazar, plus de 150 familles se sont vues distribuer environs 2 acres chacune. C'est un bel exemple pour ceux qui seraient tentés de prendre les armes.
En ce qui nous concerne, nous sommes venus ici rencontrer les peuples autochtones de cette région pauvre et encore relativement isolée de l'Inde (l'abscence d'électricité, de routes en bon état retarde la vague de modernisme qui traverse l'Inde actuellement). Nous pensions donc trouver des peuples pas encore atteints par la
fièvre de la science et de la consommation et donc avec des pratiques agricoles encore traditionnelles. Malheureusement, les adivasis (litteralement "premier peuple") ou les dalits (basse caste) ont très souvent été chassés de la terre de leurs ancêtres. Ceux que nous avons rencontrés étaient bien souvent des sans-terres ou ne possèdaient qu'un ou deux acres. Privés de terre, leur lien à la terre est d'autant plus fort. Moins on a de terre, plus celle-ci devient importante. Pourtant, contrairement à ce qu'on pourrait attendre, ils utilisent dans leurs champs pesticides et engrais chimiques. Dans le Bihar, manger est un enjeu de tous les jours, or sans fertilisant, le sol est si pauvre que leurs petits bouts de terre ne suffiraient pas à nourrir leur famille. Il faut comprendre que cette région a été
entièrement métamorphosée après la révolution verte. A cette époque, vers 1985, on a voulu moderniser l'agriculture. On a donc déforesté pour agrandir les parcelles. Aujourd' hui, le paysage ressemble à un immense désert. Sans arbres, l'eau n'est plus retenue dans le sol et ruisselle vers la mer. La terre est craquelée, dure et très pauvre, on a vraiment l'impression qu'elle est morte. En plus de cela, lors de la saison des pluies, les enormes précipitations emportent tout ce sol comme des feuilles mortes. On voit parfo
is dans le paysage des formes impressionnantes que l'érosion a dessinées au fil des moussons. P
endant la saison sèche, c'est le vent qui emporte le sol dans un immense nuage de poussière. Pendant notre court sejour, nous n'avons jamais vu de ciel bleu. Mais le plus dur dans cette histoire, c'est que les sols sont devenus si pauvres qu'il est devenu impossible de faire pousser quelque chose sans engrais chimiques.
Dans une situation avec un sol si pauvre comme a Bankey Bazar, les conditions naturelles imposent (presque) aux agriculteurs le mode de culture qu'ils utilisent.
Ce petit passage par le Bihar nous a permis de voir de près la pauvreté dont on entend parler à la télé. Ce qui nous a un peu perturbés, c'est de ne pas être tellement perturbés justement, face à de telles conditions de vie. Les gens sont malheureux, mais ils n'en ont pas l'air. On a vu des enfants aux membres déformés à cause de contaminations dans l'eau, et comme si on était blasé, ou comme si on avait déjà trop conscience de ces difficultés, on a pas été plus mal que ca. On se demande si c'est pas une réaction naturelle aussi, une façon de se protéger face à toutes ces images trop dures finalement. Il existe peut-être naturellement une barrière qui nous protège, car en réalité on est incapable de supporter de voir des gens aussi mal. Des gens qui en même temps ont un regard fort et intense, un regard dur et déterminé qui montre qu'ils n'ont plus peur de rien et qu'ils sont fiers de vivre ici.
Les plus impressionnantes, c'était sans doute les femmes. Elles ont décidé de se prendre en main et ont crée des groupes de discussion. Ensemble, elles décident de ce qui est bien pour elles et leurs enfants. Elles font des emprunts groupés aux banques, pour investir ensemble dans leur agriculture, parce qu'elles veulent, elles aussi, faire partie du monde qui les entoure et essayer d'avancer.
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