jeudi 12 février 2009

José Bové en saree

C’est dans les locaux de son association, à Delhi, que nous sommes allés rencontrer Vandana Shiva, physicienne, épistémologue, écologiste, écrivain, docteur en philosophie des sciences et féministe. Nous sommes intimidés, un peu angoissés de rencontrer cette femme politique que l’on surnomme la « José Bové en saree ».

Celle-ci vient à notre rencontre avec un large sourire qui nous rassure immédiatement et nous emmène dans son bureau surchargé de ses livres, de ses récompenses et de ses photos aux côtés de personnages politiques internationaux.


L’interview fut extrêmement intéressante et, une fois n’est pas coutume, notre interviewée s’est contentée de répondre simplement et synthétiquement à nos questions. Nous allons ici essayer de vous faire un compte rendu rapide des grandes idées que Vandana Shiva a voulu nous faire passer. L’interview s’est faite en deux parties. La première sur la politique agraire de l’Inde et notamment sur la révolution verte qui a bouleversé les façons de cultiver en Inde dès 1965 et la seconde sur notre problématique du lien à la terre et sur son importance aux yeux des indiens et de Vandana Shiva.

La révolution verte et la politique agricole de l’Inde

Nos premières questions ont été à propos de la révolution verte, grande révolution agricole qui changea complètement le visage rural de l’Inde.
En 1965, l’Inde connu une sécheresse et donc une récolte moins bonne qu’une année normale. Cela n’entraîna pas de famine, mais une hausse des prix alimentaires dans les villes. Or à cette époque, l’Inde était en pleine révolution industrielle. Les ouvriers, payés avec des salaires insuffisants pour survivre à cette crise, sont repartis dans leurs villages où la nourriture était directement produite par leur famille et donc gratuite. L’Inde s’est alors tournée vers les Etats-Unis leur demandant d’augmenter les exportations de blé et ainsi faire baisser les prix. Ces derniers ont tout simplement refusé à moins que l’agriculture indienne accepte de leur servir de champ expérimental. Les scientifiques américains venaient de mettre au point de nouvelles semences à haut rendement lorsqu’elles sont cultivées avec engrais et pesticides. Le Premier ministre indien de l’époque, Lâl Bahâdur Shâstrî répondit que l’Inde était un grand pays avec des millions de paysans dépendant directement de l’agriculture pour survivre et que par conséquent, elle ne pouvait pas se permettre de faire une telle expérimentation sans garanti de succès. Il n’y eu donc pas de livraison américaine de blé. Quelque temps plus tard, Lâl Bahâdur Shâstrî mourut mystérieusement lors d’une visite en URSS. Ses proches disent qu’il a été empoisonné, mais personne ne sait ce qu’il s’est vraiment passé. Indira Gandhi, qui assura la période de transition, continua à subir les pressions des Etats-Unis d’un côté et de la Banque Mondiale de l’autre (elle-même travaillant sous la direction des Etats-Unis). Pour obliger l’Inde à franchir le pas, celle-ci dévalua la monnaie indienne et conditionna les prêts agricoles aux exploitations utilisant ces nouvelles variétés. Quand un petit agriculteur était rattrapé par les hasards de la vie, un mariage, un toit à refaire ou un buffle à remplacer, il n’avait plus d’autres choix que d’acheter les semences pour obtenir un prêt. Indira Gandhi finit donc par céder et l’agriculture changea peu à peu.

Aujourd’hui, les pressions continuent et se sont même intensifiées. Dans les années 90, les Etats-Unis et la Banque Mondiale sont revenus et ont changé les lois indiennes sur les semences pour autoriser les entreprises comme Monsanto vendent des semences OGM. Ils ont également forcé l’Inde à déréguler le secteur semencier, ce qui signifie qu’aujourd’hui les graines ne sont désormais plus testées par le gouvernement mais par les entreprises elles-mêmes. C’est pourquoi beaucoup d’agriculteurs indiens à qui on a vendu très chers ces semences censées être miracles et en réalité non testées, se sont retrouvés, après une mauvaise récolte, endettés.

Mais les Etats-Unis ne se sont pas arrêtés là. À la demande de sociétés comme Monsanto, ils ont créé un nouvel accord international appelé « the trade-related aspects of intellectual property rights » (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) commandité par l’OMC. Depuis cet accord, il est possible de breveter le vivant. Si des scientifiques introduisent gène utile dans une plante ou s’ils découvrent un gène attribuant un caractère utile à une plante déjà existante, par exemple un gène de résistance à la sècheresse, ils pourront breveter leur découverte. La plante appartiendra alors au laboratoire. Si bien que certains paysans qui utilisaient les mêmes variétés depuis des générations et des générations sont obligés du jour au lendemain de payer « comme des droits d’auteurs » à une grande multinationale pour avoir le droit d’utiliser chaque année leurs propres semences. C’est à cause de ces nouvelles lois qu’il a été possible d’imposer aux agriculteurs indiens des graines brevetées, donc payantes et ainsi enrichir les multinationales agroalimentaires. L’OMC et la Banque Mondiale ont poussé à un monopole injuste de quelques firmes comme Monsanto, si bien que dans les zones de coton BT, les cotonniers n’ont pas d’autre choix que d’acheter la semence Monsanto.

L’Inde avait toujours refusé de voter de telles lois avant d’y être contraint par l’OMC pour protéger ses propres semenciers et ses agriculteurs.
Depuis l’arrivée du coton BT (coton qui produit son propre insecticide), des régions mal adaptées aux exigences des cultures OGM, voient leurs paysans se suicider les uns après les autres en avalant des litres de pesticides.

Mais l’histoire n’est pas finie. Depuis l’entrée de Monsanto dans le pays, les dossiers en justice s’empilaient, parce que bien que l’OMC ait changé les lois sur les semences, elle n’avait pas changé certaines lois environnementales. Or celles-ci, pour protéger l’environnement d’une dissémination non contrôlée des OGM, interdisaient l’utilisation de semences génétiquement modifiées dans les campagnes indiennes. Les Etats-Unis ont donc signé directement un accord avec l’Inde qui lança définitivement le pays dans la seconde révolution verte, la révolution OGM. Il peut paraître étonnant que l’Inde est acceptée aussi facilement d’être à nouveau choisie comme champ expérimental... à moins que le contrat d’alliance nucléaire, signé au même moment, n’ait servi de monnaie d’échange...

D’un point de vue social et environnemental, ces révolutions ont intensifié l’agriculture indienne. Elles ont détruit les forêts qui retenaient l’eau et protégeaient les sols de l’érosion. Elles ont asséché les nappes d’eau souterraines par une surexploitation de celles-ci (il n’y a plus les forêts pour retenir l’eau). Elles ont mécanisé quelques exploitations qui ont pu abaisser leurs coûts de production et donc leurs prix. Les autres, ceux qui travaillent encore à la main, ne peuvent pas s’aligner sur des prix si bas, s’endettent et vendent leur terre à ceux qui ont des machines. On crée alors des paysans sans terre qui partent travailler comme ouvriers agricoles souvent pour le compte des mêmes qui ont racheté leurs terres. En plus de ça, les salaires agricoles sont misérables car la mécanisation a fait diminuer les besoins de main-d’oeuvre. Il y a donc plus de demande que d’offre donc du chômage, des salaires bas et un exil vers les villes ou plutôt vers les bidonvilles.

« Là où la révolution verte est passée, on trouve des gens tristes et endettés, des terres désertiques, et une biodiversité anéantie. »

A l'heure où on écrit ces lignes, de plus en plus de petits propriétaires perdent leurs terres aux profits de nouveaux et toujours plus grands propriétaires qui n’appartiennent même plus aux classes agricoles. Les nouveaux riches qui profitent de la croissance économique sont ses nouveaux propriétaires terriens, mais on trouve aussi des banques américaines et européennes qui spéculent sur le foncier. La plupart de ces terres retirées à l’agriculture sont laissées à l’abandon en attendant que les cours montent, et pendant que 300 000 000 d’indiens souffrent de malnutrition.

Et à ceux qui prétendent que ces techniques sont nécessaires pour nourrir le monde et que nous allons devoir nous servir des OGMs pour subvenir aux besoins d’une population toujours plus nombreuse, Vandana Shiva leur répond d’abord que la révolution verte n’a jamais nourri l’Inde.

Premièrement, elle a augmenté la production de riz et de blé, mais elle a diminué la production de lentilles, détruit la production de légumes et surtout la diversité de l’agriculture indienne. Les terres du Punjab qui faisaient pousser 250 cultures différentes ne font maintenant plus que du blé, du riz et un peu de coton dans le sud-ouest. L’augmentation de production du riz et du blé s’est faite au dépend des autres productions. Si on compare toutes les productions, l’Inde produit moins de nourriture.

Deuxièmement, l’Inde n’avait pas besoin de ces variétés haut rendement et on aurait pu utiliser les espèces rustiques en agriculture biologique. L’augmentation de la production de céréales n’a pas été la conséquence d’un miracle des engrais et des produits chimiques mais tout simplement de la disponibilité de terres. Si on met en culture céréalière plus de terre, il est logique que la production augmente.

Pour ce qui est des cultures génétiquement modifiées, ce n’est pas un gène de meilleur rendement qu’on leur a ajouté mais un gène de résistance à un herbicide ou un gène qui permet à la plante de produire un insecticide. Il n’y a donc aucune amélioration du point de vue de la quantité de nourriture obtenue et même une détérioration de la nourriture qui est de plus en plus polluée par de puissants produits chimiques.

« L’agriculture biologique est en fait le seul moyen de nourrir la planète ».

Cette agriculture biologique devrait être faite de petites exploitations familiales suffisamment petites pour que l’agriculteur puisse s’occuper de sa terre et suffisamment grande pour nourrir ceux qui ont faim. Or aujourd’hui, la plupart des malnutris font partis des ruraux qui représentent 70% de la population indienne. Avec des techniques biologiquement intensives, Vandana Shiva arrive, dans sa ferme, à doubler voir à quintupler les rendements simplement en améliorant la biodiversité de sa faune et de sa flore et en redonnant vie à ses sols. Ces faits ont été reconnus par l’International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (Evaluation internationale des sciences et des technologies agricoles au service du développement) qui a publié un rapport réalisé par 400 scientifiques que lui avait commandité les Nations Unies et la Banque Mondiale et dont voici une des conclusions : assurer de la nourriture pour tous dans le futur ne sera possible que grâce à une agriculture de petites exploitations. Ni la révolution verte, ni les organismes génétiquement modifiés ne peuvent nourrir la planète.

Cette révolution agricole bio implique donc plus de propriétaires et un maintien des agriculteurs à la campagne alors que, comme on l’a dit plus tôt, ceux-ci, accablés par la pauvreté, partent chercher du travail en ville. Payer les agriculteurs à un prix normal est, selon notre écologiste, un moyen infaillible pour maintenir les gens à la campagne et sûrement même pour en faire revenir d’autres. D’après elle, en subventionnant les entreprises agroalimentaires et donc en baissant artificiellement les prix, la mondialisation aurait pris aux paysans indiens 25 milliards de dollars par an depuis que les règles de l’OMC ont été instaurées. Si les paysans sont si pauvres c’est parce qu’ils gagent autant de moins, alors que des entreprises comme Monsanto font des profits faramineux en vendant des semences à 100 fois leur valeur réelle, des pesticides et autres produits chimiques.

Aujourd’hui, les gouvernements du monde sont capables de donner des centaines de milliards de dollars pour renflouer les banques, pourtant c’est l’agriculture biologique qui aurait besoin d’être renflouée afin assurer aux agriculteurs un prix juste et pour permettre aux prochaines générations de retourner à la terre. Pour certains agronomes, ce serait la seule solution pour éradiquer la faim dans la monde.

L’Inde et son rapport mystique à la terre

Il faut, selon notre scientifique, pas plus de 5 ans de pratiques culturales chimiques pour perdre toute connaissance et tout souvenir d’un sol et d’une terre vivante. À travers son association, Navdanya, Vandana Shiva enseigne aux paysans l’agriculture biologique. Pour eux c’est une grande surprise de voir que l’urée est un sel qui, saupoudré sur des vers de terre, les tue, et que sans vers de terre, le sol meurt. Pour eux c’est une surprise d’apprendre à nouveau que la terre est vivante.

Est-ce que les paysans qui ont connu les tracteurs et la simplification chimique seront capables de revenir en arrière ? Selon Vandana Shiva, tout est une question d’éducation, nous avons une société qui considère que travailler avec ses mains est dégradant alors qu’être assis devant un ordinateur toute la journée et gérer des comptes bancaires et de grandes fortunes est gratifiant. C’est pourquoi, ceux qui ont perdu des milliards de dollars dans la crise gagnent des millions de dollars et que ceux qui travaillent la terre à la main ne gagnent même pas de quoi se nourrir correctement. D’après Vandana Shiva, elle-même agricultrice, « il n’y a rien de plus satisfaisant que de travailler la terre, il n’y a rien de plus libre que de travailler la terre, il n’y a rien de plus sain que de travailler la terre ».

« Nous avons besoin d’une autre éducation qui célèbrerait le travail de la terre. Nous avons besoin d’une autre éducation qui enseignerait que c’est une activité passionnante. »

Pour notre écrivain, notre perte de lien à la terre relève d’un tout. Il faut que la société évolue dans son ensemble, qu’elle comprenne qu’acheter quelque chose dans un supermarché n’est pas la destiné de la vie humaine, que d’enfoncer quelqu’un au nom de la compétition ne fait pas partie de notre nature humaine. Coopérer c’est humain, donner c’est humain, partager c’est humain. Nous avons juste laissé cette partie de notre être se faire submerger petit à petit. « Nous devons la réactiver, polir nos âmes et les faire briller à nouveau. »


Finalement, la véritable question qu’on doit se poser, c’est qu’elle est la place de l’homme sur cette terre ? « Il nous faut redéfinir le sens de notre vie sur terre avec une nouvelle idée de nous-même : qui sommes-nous ? » Selon Vandana Shiva, la terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la terre. Lorsque nous la polluons, lorsque nous la blessons, lorsque nous la tuons, nous nous autodétruisons. « Pour moi être gentil avec la terre, c’est être gentil avec soi-même et être gentil avec les autres »

Et juste avant de finir, l’agronome qu’elle est, a senti bon de préciser : « Mais nous ne pourrons redécouvrir notre véritable nature humaine qu’à travers la redécouverte de la terre comme une véritablement entité vivante. »

lundi 9 février 2009

Rencontre avec Marc Dufumier

Pour notre film, il nous manquait un spécialiste agronome qui puisse nous dresser un bilan objectif de la situation agricole française et mondiale. Lors d’une conférence intitulée “la crise alimentaire mondiale”, Sophie a pu rencontrer l’intervenant principal, Marc Dufumier. Une semaine plus tard, nous avions rendez-vous dans ses bureaux à Paris. M. Dufumier est un célèbre agronome, enseignant-chercheur à l’ “institut national agronomique de Paris-Grignon (INA PG) ou récemment renommée Agro Paris Tech. Il est spécialiste du secteur “agriculture comparée et développement agricole” et est donc très au fait des problématiques mondiales auxquelles est confrontée l’agriculture. M. Dufumier a plus récemment participé aux Grenelles de l’environnement et fait régulièrement parti des conseillers agricoles du Président de la République. Dès nos premières questions, nous avons pu sentir que nous avions affaire à un homme public, attentif à faire passer son message.

Après avoir mis l'accent sur les dangers que court l'agriculture actuelle : perte de biodiversité, perte des savoirs-faire paysans, perte de diversité culturelle, il a surtout détaillé les mécanismes de marginalisation des sociétés paysannes. En effet, depuis l’après-guerre et l’apparition des techniques modernes dans l’agriculture, les agriculteurs les plus riches investissent progressivement dans du matériel, des intrants et des variétés à haut rendement. Ainsi, ils augmentent leur productivité, font des économies d’échelle et abaissent leurs coûts de production. Ils peuvent ainsi vendre moins cher et en grande quantité. Pour le petit paysan qui travaille encore à la main, il est impossible de s'aligner sur les mêmes prix. C'est ainsi que des millions de paysans s'endettent jusqu’à être obligé de vendre leur terre. Devenus ce que l’on appelle des « paysans sans terre », certains décident de quitter leur campagne pour les bidonvilles, d’autres squattent les forets encore vierges et d’autres tentent la traversée vers l’Europe. Dans ces pays aussi, les migrants créent des conflits qui peuvent dégénérer jusqu'à des guerres que l'on qualifie toujours d'ethniques ou de religieuses sans s'interroger sur la véritable origine du déséquilibre. Ces grandes migrations mondiales de paysans pauvres résultent donc d’une concurrence déloyale entre agriculteurs, un agriculteur de type industriel est jusqu'à 200 fois plus productif qu'un petit agriculteur qui travaille encore à la main. Pourtant, l’un et l’autre sont mis en concurrence sur un même marché mondial. "On leur [petits paysans] dit : vous êtes coureur à pied, essayez de courir derrière un pilote de formule 1" nous explique-t-il. Et comble de l’injustice, ce sont justement les agricultures mécanisées qui perçoivent les subventions agricoles !

Régulièrement au cours de l’interview, il a voulu nous faire passer ce message : « Le premier défi [de l'agriculture française], c'est de redevenir raisonnable ». En effet, nous avons exagérément spécialisé notre agriculture qui se retrouve excédentaire pour certains produits comme le lait, le sucre ou le blé. Nous essayons donc de les refourguer aux pays du Sud à bas prix soit à travers l'aide alimentaire soit à travers les exportations subventionnées. Pour beaucoup, cela est considéré comme un geste altruiste car nous vendons nos denrées à un prix inférieur à leur valeur réelle voir même gratuitement lorsqu’il s’agit d’aide alimentaire. Les populations des villes africaines, asiatiques ou sud américaines bénéficient alors de produits moins chers. Pourtant, en bradant nos productions, nous faisons beaucoup de tort à ces pays. En effet, les producteurs locaux, encore majoritairement non mécanisés, ne peuvent s'aligner sur ces prix artificiellement bas et n'arrivent plus à vendre leur propre production. Or lorsqu’on sait que la grande majorité des malnutris de notre planète sont des ruraux qui dépendent fortement des revenus agricoles, ce n’est pas leur faire un cadeau que de les empêcher de vendre leurs récoltes. C’est une autre manière de créer encore plus de paysans sans terre.

Par « redevenir raisonnable », M. Dufumier voulait aussi parler de nos systèmes agricoles. Que ce soit en élevage ou en grande culture, ces derniers sont très exigeants en énergies fossiles (transport, intrants, machines agricoles) et produisent une nourriture de faible qualité. Pour revenir à une agriculture raisonnable, il faudrait donc par exemple se protéger des importations de protéagineux. Pourquoi acheter du soja transgénique en provenance du Brésil, de l’Argentine ou des Etats-Unis, quand on pourrait nourrir nos propres animaux avec des fourrages de très haute qualité ? On se retrouve avec des régions comme la Bretagne spécialisée en élevage, embarrassée par les déchets animaux riches en nitrate, et des régions comme la Beauce, spécialisée en céréales, déficitaire en nitrate. Là aussi la spécialisation n’est pas raisonnable. Pourquoi ne pas diversifier les productions régionales, associer cultures et élevages et utiliser les déchets animaux pour nourrir les sols de grandes cultures ? Il faudrait rapprocher nos systèmes de productions des potentiels de fertilité de nos terroirs, revenir à une agriculture adaptée à nos écosystèmes. « La seule agriculture qui soit raisonnable, c’est une agriculture agro écologiquement intensive, c’est-à-dire qui fasse une utilisation intensive de l’énergie lumineuse de l’azote de l’air et de toutes les autres ressources naturelles renouvelables et un usage minimum, proche de 0 des ressources périssables », nous persuade-t-il.

Selon, notre spécialiste, la reconversion de notre agriculture vers l’agro écologie intensive devra se faire par une redistribution des aides de la PAC. L’idée est que les agriculteurs soient payés par la vente de leurs produits agricoles et plus par les subventions. On pourrait commencer ce mouvement de reconversion en passant progressivement les cantines des écoles de France au bio. Les agriculteurs, sûrs de pouvoir trouver un marché croissant dans l’avenir, se lanceraient sans trop de risque dans la reconversion.

Cette agriculture serait régie par un cahier des charges mis en place par les consommateurs eux-mêmes, car les clients ne seraient plus les grandes surfaces et les quelques centrales d’achats qui monopolisent actuellement le marché de l’alimentation. Revenu à un marché local, on remettrait donc en contact deux mondes qui ont été trop longtemps séparés : les agriculteurs et les gens qu’ils nourrissent.

Revenir à une agriculture raisonnable nécessite plus d’attention de la part des agriculteurs et donc plus d’agriculteurs. Or aujourd’hui lorsqu’une exploitation disparaît, la plupart du temps, celle-ci est partagée entre les exploitations alentours. La tendance actuelle est toujours à l’agrandissement des quelques exploitations qu’il reste, donc à une mécanisation toujours plus puissante et à une diminution du nombre d’actifs agricoles. Pourtant, en ces temps de crise, l’agriculture pourrait être vu comme une source extraordinaire d’emplois si on facilitait l’accès à la terre de néo-agriculteurs.

D’autant plus que la demande semble être là. Aujourd’hui, 1/3 des gens qui reprennent une exploitation sont des néo-ruraux. Ce sont d’ailleurs eux qui sont souvent les plus écologiques. Étant donné le prix du foncier en France, ils démarrent la plupart du temps de seulement quelques hectares. La seule façon pour eux de vivre de leur métier est donc de valoriser leur production en la vendant bio.

Pour ce qui est des fils d’agriculteurs qui souhaitent passer au bio, la reconversion est souvent très difficile. En effet, les investissements dans le conventionnel sont si importants (tracteurs, bâtiments et autres machines agricoles...) que les agriculteurs sont contraints de s’endetter pendant en moyenne 15 ans pour rembourser leurs prêts. Les jeunes fils d’agriculteurs hésitent donc, et à juste titre, à réinvestir pour se lancer dans le bio.M. Dufumier voudrait remettre l'agriculteur à sa place. Aujourd'hui, les orientations agricoles sont prises par des politiques et des scientifiques coupés des réalités du terrain. Il est temps de renouer le contact entre agriculteurs, scientifiques et politiques. Il est nécessaire de rééduquer les agriculteurs sur ces nouvelles manières de produire que sont le bio ou l’agro écologie. Mais il faut aussi et surtout rééduquer les agronomes qui sont bien souvent eux aussi hyper spécialisés. Or il est nécessaire d’avoir une ouverture d’esprit suffisamment grande pour entamer un dialogue, un échange et un apprentissage réciproque entre experts et agriculteurs.

Car experts et agriculteurs ont plus que jamais autant besoin l’un de l’autre...


Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Marc Dufumier, nous avons mis un lien sur notre blog dans la rubrique "Articles à lire" sur un article intitulé "Ce riche savoir-faire des paysans du Sud".

samedi 10 janvier 2009

L'Inde, le pays aux mille contrastes

C'est peut-être avant même de faire un bilan sur notre travail, le moment de faire juste un point sur notre voyage en Inde.
Nous ressortons d'un tel périple bien évidemment enrichis, des images plein la tête, mais pourtant avec une vision pour le moins mitigée de la société indienne. Ce pays est définitivement le pays des contrastes. Nous en avons fait une petite énumération :

- les couleurs : ce qui frappe l'œil en premier est souvent l'incroyable diversité des couleurs que l'on rencontre dans ce pays, aussi bien dans les temples qu'à travers les célèbres sarees ou autres courtas que portent les dames. C'est donc un défilé de couleurs et de paillettes qui se déloient devant nos yeux ébahis.
Pourtant, en même temps, on retrouve perpétuellement des murs, des rues, des hommes noirs de saletés. Le ciel de Delhi est toujours gris, emprisonné dans son nuage de pollution. Les journées où l'on voit le bleu du ciel sont exceptionnelles. Dans toutes les villes d'Inde que nous avons traversées, on pouvait voir au loin ce rideau de pollution, témoin de l'incroyable développement de l'industrie indienne.
L'Inde des couleurs existe bel et bien, mais bien souvent le film de la vie passe en noir et blanc.

- les riches et les pauvres : Environ 300 000 000 de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé à un dollar par jour (soit environ 26% de la population, soit 1 personne sur 4). Il est impossible de parler de tous les pauvres, les mendiants, les miséreux que nous avons croisés à Dehli, dans les campagnes ou partout ailleurs. Ceux qui se battent chaque jours pour un chapatti, un peu de riz ou quelques roupies.
Pourtant, l'Inde est aussi le pays des maharajahs, des palais les plus somptueux du monde. Les hôtels à 1000 euros ou plus la nuit ne sont pas rares. De même, il faut savoir que parmi les 10 personnes les plus riches du monde, on retrouve 4 indiens dont M. Mittal à la première place.
Ces gens ne vivent pas dans le même monde, bien qu'ils se croisent chaque jour dans les rues d'un même pays. Les uns dans leur superbe voiture pendant que les autres mendient à la fenêtre pour un ou deux roupies. Le fossé entre riches et pauvres est un des plus larges du monde. Comment de tels inégalités sont possibles ? Il est probable qu'en France les pauvres se seraient depuis longtemps soulevés pour réclamer une meilleure répartition des richesses. En Inde, les pauvres sont fatalistes, ils acceptent leur situation. Pourquoi ?
Parce que la société indienne est une une société fondée sur la hiérarchie et chacun doit rester à sa place. Aussi bien dans la famille que dans la société en général.
Pour vous faire comprendre cela, voici un passage du livre d'un jeune auteur indien, Aravind Adiga, dont le titre est : "Le tigre blanc". Le héros, fils de rickshaw, s'adresse au premier ministre de la république de Chine qui s'apprête à visiter l'Inde.

Monsieur Jiabao,

Monsieur,

A votre arrivée ici, on vous expliquera que les Indiens avaient tout inventé, d'Internet aux vaisseaux spatiaux en passant par l'œuf dur, avant que les Britanniques nous ddépossèdent de tout.
Foutaise ! La plus grande invention de ce pays au cours des dix siècle de son histoire est la Cage à poules.
Faites vous conduire à Old Delhi, derrière le Jama Masjid, et observez comment est confinée la volaille. Des centaines de poules blanchâtres et de coqs bariolés, parqués dans des cages en treillis, aussi entassés que des vers dans un intestin, se déquettent, se chient dessus et se bousculent pour avoir un peu d'air. Une puanteur horrible se dégage du poulailler : l'odeur de la volaille terrifié. Sur le comptoir de bois, au-dessus de la cage, un jeune boucher souriant exhibe la chair et les entrailles d'un poulet tout juste évidé et maculé de sang sombre. Dessous, ses congénères sentent l'odeur du sang. Ils voient les boyaux de leur frère. Ils savent que leur tour approche. Pourtant, ils ne se rebellent pas. Ils ne cherchent pas à fuir la cage.
Dans ce pays, on procède de la même manière avec les êtres humains.
Regardez les routes de Delhi, le soir ; tôt ou tard vous verrez un homme pédaler sur un rickshaw, avec un lit immense ou une table attachés à la remorque. Chaque jour, cet homme livre du mobilier. Un lit coûte cinq ou six mille roupies. En ajoutant les chaises, une table basse, on arrive à quinze mille. Or le livreur qui pédale sur son rickshaw et transporte ce lit, cette table, ces chaises, gagne à peine cinq cents roupies par mois. Il apporte le mobilier et le client lui remet la somme d'argent en liquide : une épaisse liasse de billets de la taille d'une brique. Il met l'argent dans sa poche, ou dans sa chemise, ou dans son slip, et il retourne le donner à son patron sans en prélever une seul roupie ! La somme qu'il a dans les mains représente son salaire de deux ans, pourtant il n'y touche pas.
Chaque jour, dans les rues de Delhi, un chauffeur quelconque conduit une voiture vide avec une grosse valise noir sur la banquette arrière. A l'intérieure de la valise, il y a un ou deux millions de roupies ; beaucoup plus que le chauffeur ne gagnera jamais dans toute sa vie. S'il prenait cet argent, il pourrait aller en Amérique, en Australie, n'importe où, et commencer une nouvelle vie. Il pourrait louer une chambre dans un hôtel cinq-étoiles dont il a toujours rêvé et qu'il n'a vu que de l'extérieur. Il pourrait emmener sa famille à Goa, ou en Angleterre. Pourtant il dépose cette valise à l'adresse indiquée par son maître. Il la dépose là où on lui a dit de la déposer sans en avoir pris une seule roupie. Pourquoi ?
Parce que, comme l'affirme la brochure du Premier ministre, les êtres les plus honnêtes du monde ?
Non, parce que 99.9% des Indiens sont emprisonnés dans la Cage à poules, comme leurs malheureux camarades à plumes du marché aux volailles.
La Cage à poules ne fonctionne pas toujours aussi efficacement avec des sommes d'argent minimes. Ne mettez pas votre chauffeur à l'épreuve avec une pièce de une ou deux roupies : il risque de vous la voler. Mais laissez un million de dollars dans un taxi de Bombay. Le chauffeur de taxi préviendra la police et déposera l'argent au commissariat avant la fin de la journée. Je vous le garantis. (Que la police vous rende ou non l'argent est une autre histoire.) Dans ce pays, les employeurs confient des diamants taillés qu'ils doivent convoyer jusqu'à Bombay. Pourquoi l'un d'entre eux ne vole-t-il pas la valise de diamants ? Il n'est pas Gandhi, c'est un être humain ordinaire comme vous et mi. Oui, mais il vit dans la Cage à poules. La fiabilité de la domesticité est le fondement de l'économie nationale tout entière.
La grande Cage à poule indienne. Avez-vous l'équivalent e Chine ? J'en doute, monsieur Jiabao. Sinon, vous n'auriez pas besoin du parti communiste pour éliminer les individus, ni d'une police secrète pour opérer des rafles nocturnes dans les maisons et mettre leurs habitants en prison ; c'est du moins ce qu'on raconte. Ici, en Inde, nous n'avons pas de dictature. Ni de police secrète.
C'est parce que nous avons la Cage à poules.
Jamais auparavant dans l'histoire humaine un nombre aussi restreint de personne n'a eu une dette aussi importante envers un si grand nombre, monsieur Jiabao. Ici, une poignée d'hommes a entraîné les 99.9 restants - forts, talentueux et intelligents dans tous les domaines - à vivre dans une servitude perpétuelle ; une servitude si forte que, si vous mettez la clé de son émancipation dans la main de quelqu'un, il vous la jettera à la figure en vous maudissant.
Venez vérifier par vous-même. Chaque jour, des millions d'indiens s'éveillent à l'aube, s'entassent dans des bus crasseux et surchargés pour rejoindre les maison huppées de leurs maîtres ; ils lavent le sol, récurent la vaisselle, désherbent le jardin, nourrissent leurs enfants, massent leurs pieds, tout cela pour une maigre pitance. Je n'envierai jamais les riches d'Amérique ou d'Angleterre, monsieur Jiabao : ils n'ont pas de domestiques. Ils n'imaginent pas ce qu'est réellement la belle vie.
C'est le moment où un homme de votre intelligence, monsieur le Premier ministre, doit se poser deux questions.
Un : pourquoi la Cage à poules fonctionne-t-elle ? Comment parvient-elle à enfermer aussi efficacement des millions d'hommes et de femmes ?
Deux : un homme peut-il s'évader de la cage ? Supposons par exemple qu'un chauffeur dérobe l'argent de son employeur et s'enfuie ? Quelle sera sa vie ?
Je vais répondre pour vous, monsieur.
La famille, voilà la raison de notre enfermement dans la cage. La famille indienne, fierté et gloire de notre nation, dépositaire de tout notre amour et de tout notre sacrifice, et sujet d'un paragraphe sans doute considérable dans la brochure de notre Premier ministre.
La réponse à la seconde question est que seul un homme prêt à voir sa famille détruite - pourchassée, battue et brûlée vive par ses maîtres - peut s'évader de la cage. Pour cela, il ne faut pas être une personne normale, mais un monstre, un dénaturé.
Pour cela, il faut être un tigre blanc. C'est l'histoire d'un entrepreneur social qui vous est contée ici, monsieur.

- La propreté : Sur ce sujet, les indiens sont très drôles ou décourageants, ça dépend des points de vue ! Les indiens sont toujours parfaitement toilettés, parfumés, bien habillés, et surtout bien coiffés. Il n'est pas rare d'en voir un se repeigner au milieu de la rue, dans un bus ou lorsqu'une belle fille approche ! Les femmes portent toujours de magnifiques sarees bien arrangés, bien propres et selon la saison assortis avec les magnifiques fleurs qu'elles mettent dans leurs cheveux.
Les seuls indiens qui négligent leur allure sont les pauvres. La différence est alors radicale : vêtements noirs de saleté et déchirés, cheveux sales, emmêlés. Certains ont même malgré eux des dreadlocks qui ferait pâlir les plus roots de nos villes.
C'est sûrement pour se détacher de cette population miséreuse que lorsque l'on a un peu d'argent on fait tout de suite très attention à son apparence physique en Inde. Étonnant lorsque chez nous, la mode est parfois aux coiffures négligées, aux pantalons troués, au style rockeur rebelle !
Ces indiens si frais et élégants se baladent pourtant tous les jours dans des rues à l'antipode. La merde de vache, les restes de nourriture, les papiers plastiques et la boue sont le tapis rouge de ces bonnes gens. Si les indiens font attention à eux, il n'en n'est pas de même pour leurs rues. Dans celles-ci, dans le train ou dans les bus, les poubelles n'existent quasiment pas. Tout passe par dessus bord sans aucun état d'âme.
Cela nous rappelle d'ailleurs une discussion avec deux étudiants indiens. L'un d'eux a remarqué que nous stockions nos papiers ou même nos sachets de thé encore humides dans notre sac en attendant de trouver une poubelle. Surpris, il insiste pour qu'on jette tout cela par la fenêtre arguant que ce n'est pas interdit, au contraire ! Nous avons alors essa de lui expliquer qu'on voulait éviter de polluer l'environnement. Ce à quoi ils ont répondu : "Mais si tu pollues pas l'environnement, tu pollues ton propre sac !!!"
Un indien rencontré dans le centre de l'IITPD, nous a très bien résumé la situation des indiens vis à vis de l'environnement en disant qu'ils ont une conscience de la propreté individuelle très développée, mais aucune conscience de la propreté collective.

- le respect et la sécurité : Encore un sujet très très étonnant !
L'Inde est un pays très sûr. Il n'y a pas tellement de délinquance ou de racket comme chez nous. En tant que journalistes-touristes-agronomes, nous ne nous sommes jamais sentis en danger. Les gens sont avenants, toujours ravis de nous aider ou de discuter un peu, et cela même dans les endroits les plus pauvres.
Pourtant, en parallèle, l'Inde subie fréquemment des actes d'une violence incroyable. Les attentats terroristes sont très nombreux (L'Inde est le deuxième pays du monde a être le plus touché par le terrorisme !) à cause des maoïstes, des dacoïtes ou autres fondamentalistes religieux, autant côté musulman que hindou.
Nous avons directement rencontré des personnes brûlées à la suite d'attentat à la bombe dans des bus. Les meurtres, pour règlement de compte, sont extrêmement fréquents ou en tout cas beaucoup plus qu'on pourrait l'imaginer dans le pays de la non-violence de Gandhi ! Les indiens qui a première vue sont souvent chétifs, doux et inoffensifs peuvent en réalité commettre des actes véritablement barbares ! Lorsque nous étions à Morena, notre ami Ramu nous a expliqué que son voisin d'en face a été assassiné deux mois plus tôt au coin de sa rue pour une histoire d'argent. La famille du défunt s'est retrouvée du jour au lendemain sans ressource et surtout sans justice car en Inde la justice se monnaye !
Cela nous amène à cet autre aspect sécuritaire qui nous a considérablement marqué : les flics. Ils ont toujours été très disponibles et très agréables avec nous, les étrangers. Pourtant, ce sont de vraies crapules avec les indiens ! Les flics indiens sont parmi les plus corrompus du monde. Assurément plus que les chinois. L'argent sale est le seul moteur qui
fait agir la police. Elle peut sans problème passer l'éponge sur un crime si le bakchich ou pot de vin est suffisamment cher. De la même façon, pour obtenir justice, il faut payer pour que les policiers dénigrent se déplacer pour enquêter. Au tribunal, c'est la même chanson : le plus riche gagnera le procès !
Ces hommes de justice qu'on croit naïvement si intègres sont pourtant dans la très grande majorité des cas de véritables crapules sans aucune morale.

- le côté spirituel : les indiens sont certainement parmi les populations les plus empreintes de religions au monde. Les traditions et la religion sont si importantes pour eux... mouais, enfin comme pour tous les croyants, quand ça les arrange !!!
Certes, la religion est importante, elle est même absolument omniprésente, mais ce ne sont pourtant pas des gens plus spirituels ou, du moins, plus réfléchis que d'autres. Les indiens sont extrêmement matérialistes. Et si la religion est importante, l'argent l'est encore plus. Tous les jeunes que nous avons rencontré rêvent de devenir "business man". Qu'ils fassent des études dans les nouvelles technologies, dans la science, dans les ordinateurs, dans la médecine, ou plus logiquement dans le commerce, ils veulent tous faire une carrière qui leur rapportera le plus possible. Résultat, la plupart embrassent des carrières de management et rares sont les musiciens, les peintres, les écrivains, sportifs ou même les journalistes. Pour vous donner une idée, l'Inde, qui a tout de même une population proche du milliard, n'a pas remporté une seule médaille d'or aux jeux olympiques, mais seulement une d'argent et une de bronze... ce qui est bien, mais pas top !
La religion hindoue a un rapport au monde très particulier. Elle déifie la nature, les arbres, la terre, le Gange, les vaches qui prennent alors une place étonnante dans la vie des indiens. Beaucoup de symboles comme ceux-ci sont vénérés et donc respectés. La terre, les vaches et le Gange sont, par exemple, considéré comme des mères pour les hindous. Ceux-ci prient chaque jour aussi bien au pied des représentations divines qu'aux pieds des arbres sacrés. Pourtant, ces gestes et ces croyances, répétés inlassablement ne semblent parfois n'avoir aucun sens. Beaucoup diront qu'ils prient chaque jour parce qu'il faut le faire... oui, mais encore ? Chaque hindou est baigné depuis sa plus tendre enfance dans cette ambiance religieuse. Pour eux, ne pas croire en Dieu est juste impensable. Tout le monde y croit, c'est tout. Cela fait partie de l'identité des familles. Tous les membres répètent ensemble, depuis des centaines d'années, les mêmes gestes, les mêmes rituels que l'ont transmet à la génération suivante. Si les vaches sont sacrées, c'est uniquement parce qu'on leur a dit que tuer une vache condamne à l'enfer ! Sans réfléchir, ils font donc la même chose que leurs parents. Personne ne peut leur en vouloir, ils n'ont jamais connu autre chose. Ce qui est sûr, c'est que les indiens remettent très rarement en question leur religion ou leur système. Ils exécutent et suivent plus qu'ils ne réfléchissent, non pas parce qu'ils sont bêtes ou n'en sont pas capables, mais juste parce que ça a toujours été comme ça. C'est le flot indien qui coule, coule, coule...
Pour nous, petits français, habitués aux grèves et aux revendications en tout genre, l'immobilisme indien nous a plus d'une fois révolté ! Mais que faire, c'est une différence de culture peut-être ?
D'ailleurs, en parlant de tradition et de religion, on peut difficilement ne pas vous parler des castes et de la place de la femme dans la société indienne...

- les castes : il existe en Inde quatre castes principales. Les brahmanes, caste des penseurs, sont sortis de la bouche de Brahma (dieu créateur hindou), les kshatriyas, caste des chefs ou des guerriers, sont sortis des bras de Brahma, vaishyas, caste des commerçants, sortis des cuisses de Brahma et enfin, il y a des sudras, caste des serviteurs, sortis des pieds de Brahma.
Il faut savoir qu'en Inde certaines choses, comme les pieds ou les excréments, sont impurs, pourtant il y a pire qu'être né des pieds de Brahma. Il y a les intouchables, ceux qui sont sortis d'on ne sait où et qui sont à peine considérés comme des hommes par le reste de la société. Parmi ces deux dernières castes, il y a des milliers de subdivisions selon les métiers des familles. Il y a la caste des fabricants de sucreries, la caste des coiffeurs et même la caste des charpentiers. La caste à laquelle on appartient apparaît dans le nom de famille des gens, si bien que lorsque deux personnes se présentent l'une à l'autre, elles savent de quelle caste appartient leur interlocuteur. Il est donc impossible de cacher son statut dans la société indienne. On ne peut pas trouver un emploi sans donner son nom de famille. Tricher serait déshonorer sa famille et de toute façon impossible parce que l'employeur vérifie souvent ces informations. Cependant, dans les grandes villes, un brahmane ne sera pas forcément professeur ou savant. Les choses s'assouplissent petit à petit, même si la tradition est encore très présente dans les villages. Pourtant, certains métiers sont encore partout réservés à certaines castes... et bien entendu il revient aux intouchables de se consacrer aux tâches "impurs" comme ramasser les déchets et nettoyer les rues. Il existe aussi une caste des "ramasseur d'excrément de vache". Naître dans une famille comme celle-là, c'est être condamné à ramasser des crottes de vache toute sa vie... Il est bien sûr inutile de dire que ces métiers sont rémunérés misérablement.
Les castes, officiellement abolies depuis l'indépendance, sont encore très bien ancrées dans la société indienne pour le meilleur et plus particulièrement... le pire !
A Morena, où nous étions dans le Madhya Pradesh, une fille brahmane est tombée amoureuse d'un garçon dalit, intouchable. Tous les deux se sont enfuis et se sont mariés loin de leurs familles. En représailles, le père de la marié a tué le frère et le père du marié pour "laver l'honneur de sa famille". S'en sont suivi plusieurs jours d'affrontements entre les deux communautés. Aujourd'hui, les mariés sont encore en cavale et le seront pour toujours. Si un jour ils revenaient, il ne ferait nul doute que la famille du brahmane tuerait le mari mais aussi leur propre fille.
Voilà encore un aspect controversé de la religion hindoue qui a créé cette hiérarchie sociale. C'est grâce à celle-ci que quelques puissants indiens ont réussi pendant des centaines d'années à contrôler une population servile qui ne voulait sûrement pas se soulever contre ses traditions car cela revenait à se soulever contre ses propres dieux !

- La démocratie et la politique : L'Inde se vante d'être la plus grande démocratie du monde. Certes... mais à quel prix ?
En Inde, la démocratie est parlementaire. Les lois nationales sont élaborées et votées à Dehli. Les gouvernements locaux, maîtres chez eux, on ensuite la liberté de les appliquer ou non. C'est pourquoi cette démocratie est rongée par une maladie presque incurable lorsqu'elle s'est propagée : la corruption ! Celle-ci est si ancrée en Inde, qu'un homme ou une société fortunée peut changer ou rester en dehors des lois sans avoir à craindre la justice (exemple de Coca-Cola, cf article à lire : "N'achetons plus Coca-Cola !"). Et lorsque les pressions communautaires entre en jeu, le cocktail devient explosif.
En 1998, le BJP, parti radical hindou, arrive au pouvoir et essaie d'instaurer
l'Hindutva, l'identité hindouiste, basé sur un idéal de pureté de la race indienne. " Une nation, un peuple, une culture " ou autrement dit "pas de place pour les autres cultures que l'hindouisme, dehors les minorités !". Quelques mois après leur accession au pouvoir, les nationalistes hindous ont saisi l'opportunité pour accentuer leur combat contre les musulmans (principale minorité avec 14% de la population). S'en sont suivi les plus féroces émeutes religieuses de la démocratie indienne où plus d'un millier d'indiens, dont une grande majorité de musulmans, ont été tués et même très souvent massacrés. Heureusement, ce parti n'est resté au pouvoir que quelques années, mais il reste aujourd'hui le principal parti d'opposition. La menace n'est surtout pas à prendre à la légère, surtout lorsque l'on sait que ce parti s'inspire des théories de la race pure Hitlérienne. Ainsi, dans le Gujarat où le BJP a pris le pouvoir, les manuels scolaires ont été modifiés pour apprendre aux enfants l'histoire de l'Allemagne nazi et la notion de race aryenne.

- La famille : Tous les indiens vous diront que la famille est une chose, sinon la chose la plus importante pour eux.
C'est vrai, toute la famille vit encore dans la même maison toutes générations confondues. Les jeunes obéissent prenant soins de leurs ainés. Pour sa famille, un indien serait prêt à faire n'importe quoi, parfois même le pire comme on l'a vu un peu plus haut.
Là encore, les familles sont très hiérarchisées. L'homme passe avant la femme et l'ainé avant son cadet. Si bien qu'un jeune homme juste majeur a autorité sur toutes les femmes de la maison excepté sa mère. Et comme souvent, ce sont les faibles qui trinquent : femmes et enfants.
Chez les pauvres, les enfants n'ont parfois que peu de valeur aux yeux de leurs parents. On en fait et ont les utilise pour avoir de quoi manger. En effet, les enfants mendiants, plus misérables, rapportent plus d'argent à la maison.
C'est pourquoi, les enfants des rues sont souvent attrappés par des mafias locales (contre lesquelles les parents ne peuvent rien lorsqu'eux-mêmes n'appartiennent pas aussi à ces mafias). La vie de ces enfants devient alors souvent un enfer. Ceux-ci sont battus s'ils ne ramènent pas assez d'argent et sont même parfois mutilés pour rapporter plus. C'est pourquoi il n'est pas rare de voir un enfant aveugle ou manchot faire la manche. Nous avons, nous aussi, côtoyé ces mafias. Un jour, dans un marché, un petit garçon de 7-8 ans, vêtu de haillons noirs de crasse, nous a suivi en tendant la main, en nous attrapant le bras et en gémissant pendant au moins cinq longues minutes. A bout, notre conscience dans les chaussettes, coupables de vivre dans le confort, nous avons craqué et lui avons donné cinq roupies. Son visage s'est éclairé. 5 roupies ! Ce n'est sûrement pas souvent qu'il pouvait se targuer de gagner autant ! Réconfortés par son sourire, la désillusion fut encore plus rude lorsque à peine 5 secondes plus tard, un adulte lui arrachait son billet en le frappant derrière la tête...
A la campagne, ce sont les petites filles qui sont tuées à la naissance ou avortées lorsque la famille a de quoi payer une échographie et cela bien que les lois anti-avortement interdisent aux médecins de révéler le sexe de l'enfant avant sa naissance ! Enfin, les enfants sont plus sensibles à la misère. 300 000 d'entre eux meurent chaque année de diarrhée, 65% des moins de 5 ans sont malnutris et 55 millions travaillent pour des employeurs autre que leur parents.
Les femmes... dès leur enfance, elles subissent de plein fouet l'injustice de la société indienne. 39,4% d'entre elles sont scolarisées contre 64,1 % des garçons. Ces inégalités sont localement parfois encore plus criantes ; avec seulement 20% de filles scolarisées dans le Rajasthan. Cette injustice c
ontinue dans la vie adulte à cause de la position sociale qu'occupe la femme dans la société indienne, ou plutôt dans la famille indienne. A sa maturité sexuelle ou légale, selon le degré d'éducation de la famille, les parents cherche un mari et une famille avec lesquels marier leur fille. Une fois mariée, celle-ci ira vivre dans la maison familliale de son époux. En échange de la prise en charge complète de leur fille, les parents doivent s'acquitter de la dot, bien souvent très difficile à payer. C'est à cause de cette dot, pourtant interdite depuis 1961, que les filles sont considérées par leur famille comme de véritables fardeaux. Les familles indiennes refusent donc très souvent de dépenser de l'énergie et du temps pour éduquer leurs filles qui iront vivre dans d'autres familles qui auront alors tous les droits sur elles.
En effet, une fois mariée, l'épouse doit subir les règles de sa nouvelles maison et surtout l'autorité de sa nouvelle belle-mère qui bien souvent en profite pour se décharger des souffrances qu'elle a elle-même subit. Tout est alors possible, de la violence morale à la violence physique en passant parfois, dans les cas extrêmes, par le meurtre (qui permet d'ailleurs de remarier son fils et d'obtenir une autre dot...). C'est ainsi que la police enregistre régulièrement de mystérieux cas de saree (grand tissu coloré que les femmes indiennes enroulent autour de leur corps) qui ont accidentellement pris feu dans les cuisines des maisons. Pourtant l'épouse est officiellement sous l'autorité de son mari que sa famille lui a choisi. Beaucoup de femmes réticentes à s'offrir à ce mari qu'elles ne connaissent pas, sont forcées à le faire... elles sont, autrement dit, violées. Les indiennes sont également parmi les plus battues au monde. 40 % d'entre elles le sont contre 20 % dans le monde ! Bien des femmes subissent quotidiennement les humeurs de leurs tyrans de maris, et paradoxalement, elles leurs doivent le droit de vivre dans cette société indienne.
En effet, les femmes n'ont d'existence sociale qu'à travers leur mari. D'après la religion hindouiste, les femmes sont des sans castes et ne sont reconnues que par le nom de famille de leur époux. Si bien que si celui-ci meurt, beaucoup d'entre elles se retrouvent du jour au lendemain abandonnées aussi bien par leur famille d'accueil que par leur propre famille. Ces femmes se retrouvent sans rien, dehors, avec leurs enfants sur les bras, réduites à la mendicité. Heureusement certaines familles affrontent le regard de la société et accueillent leurs filles dans leur foyer maternel, mais d'autres ont un moyen encore plus radical de résoudre le problème. Ces dernières considèrent que l'épouse doit suivre sont mari jusque dans la mort. Elle est donc brulée au côté de son défunt mari, sauf qu'elle... est encore vivante. Heureusement, ces pratiques d'un autre temps sont de plus en plus rares et ont même complètement disparu dans les villes ou dans certaines régions.
Au delà de ces hiérarchies familiales qui pour nous, occidentaux, sont incompréhensibles, c'est toute la société indienne qui est hiérarchisée selon le même modèle. Les hautes castes ont tous les droits vis à vis des sous-castes. Nous avons vu des indiens être injurieux, voire agressifs envers d'autres indiens "inférieurs". Ces derniers n'osent même pas penser que c'est injuste ou infondé. Au contraire, ce qui frappe en Inde, c'est le défaitisme des pauvres. Ils sont pauvres, méprisés, marginalisés et pourtant ne ressentent aucune amertume, aucune injustice, ni aucune ambition future car être pauvre est, tout simplement, leur destin. Nous avons demandé à un sans-terre dalit (une minorité hors caste) s'il ressentait de l'injustice face à ses grands propriétaires terriens qui accumulent les hectares et les richesses de son village. Très philosophe, dans une attitude déconcertante de sérénité, il nous a répondu, un peu étonné de notre question, que non, que chacun sur cette terre avait une destinée. Celle des grands propriétaires étaient d'être riches, la sienne d'être pauvre. La seule chose qu'il pouvait faire, c'est prier les dieux pour avoir plus de chance dans sa prochaine vie. Parce qu'être hindou, c'est avoir sept vies. Sept vie, comme autant de chance de sortir du cycle des réincarnations et atteindre le nirvana. Si dans sa vie, on a été mauvais, on se réincarnera pauvre, animal, insecte ou plante. Si au contraire, on a été bon, on se réincarnera plus riche dans une haute caste. Et enfin, si on a été aussi bon qu'un saint, on atteindra le nirvana. Alors lorsque le sort s'acharne sur vous, c'est certainement parce que vous avez été mauvais dans la vie précédente. Autrement dit, vous l'avez bien mérité alors pourquoi iriez-vous vous plaindre ?

La société ind
ienne est très complexe et différente de la nôtre. Il est très facile de la critiquer comme nous venons de le faire, avec notre regard de gentils et bons français, élevés dans le pays des droits de l'homme. Ce n'est pas le procès de l'Inde que nous faisons ici. Nous avons simplement voulu rappeler, que l'Inde n'a pas uniquement le statut de pays magnifique que les touristes lui attribuent, car ils oublient souvent quelques aspects bien plus critiquables.
Mais malgré les remarques que nous venons d'énumérer, l'Inde a définitivement marqué nos vies et notre regard sur les différences culturelles. Ce pays a une puissance indescriptible qui attire et nous savons que, si nous avons l'occasion, nous retournerons sans hésitation apprendre de ce pays aux mille contrastes.

Vacances indiennes en famille

Ça y est, nous sommes arrivés à la fin de notre voyage, mais il n'est pas encore temps de faire le bilan. Notre projet est loin d'être fini, nous avons encore deux mois pour reprendre nos images et faire le montage. Le plus dur reste donc à faire !

Et puis, il nous faut vous raconter la fin de notre voyage avant de faire une rétrospective sur cette expérience.

Deux jours après avoir quitté notre ami Ramu et sa famille, les parents de Sophie nous ont rejoints pour le réveillon de Noël. Nous comptions ensuite faire nos dernières interviews dans le Punjab, terre des grands propriétaires et de l'agriculture moderne. Malheureusement, la menace de la guerre indo-pakistanaise, nous a contraints à abandonner cette idée. Finalement, nos quinze derniers jours seront consacrés à la découverte d'un autre côté de l'Inde et non seulement de l'Inde agricole.

Tous les cinq, les parents de Sophie, son frère et nous, sommes partis d'abord vers Chandigarh, la ville créée de toute pièce, en 1951, par le plus célèbre des architectes français, le Corbusier. Cette ville est née de la volonté de Nehru, alors premier ministre de l'Inde, d'offrir au Punjab et à l'Haryana une capitale qui devait être : "une ville nouvelle, symbole de la liberté de l'Inde, désentravée des traditions du passée... une expression de la confiance de la nation dans le futur". Ce fut une sorte de cadeau pour cet état (le Punjab) qui a tant souffert de la partition, séparation du Pakistan musulman de l'Inde hindoue, qui a entraîné des millions d'indiens à migrer causant massacres, famines et tensions entre ces deux pays, à l'origine de trois guerres et des actualités récentes.

Chandigarh intéresse aujourd'hui surtout les architectes, notamment la mère de Sophie, curieux de voir en vrai cette ville et ces bâtiments qu'ils ont tant étudiés lorsqu'ils étaient sur les bancs de la fac. En effet, cette ville est l'oeuvre de la vie du Corbusier. Il a pu y appliquer ses thèses à l'échelle d'une ville (quartiers découpés en blocs indépendants et séparés par de larges routes, bâtiments à façade libre, le jeux d'optimisation de la lumière du soleil, les débuts de l'utilisation du béton...). Notre visite fut incontestablement plus intéressante grâce aux explications de l'architecte qui nous accompagnait.


Après un passage obligé par Delhi, direction Jaïpur et le Rajasthan des Maharajas. Ce fut incontestablement royal ! La ville rose indienne est en son centre fortifiée et parsemée de bâtiments de grès rouge datant du XVIIIème siècle. Nous y avons également croisé nos premiers singes, chameaux et éléphants.


Le clou du spectacle, perché dans les hauteurs, le fort d'Amber, palais de Maharajas et capitale de nombreuses dynasties. Cette ambiance royale a certainement contribué à notre choix de restaurant pour fêter le réveillon : un palace au moins 7 étoiles assez indescriptible. Il n'y a qu'en Inde que des dîners dignes des grands rois ou maharajahs sont possibles. Super cadeau de Noël.
Notre voyage à 5 s'est terminé par Agra et la visite du fameux Taj Mahal.


A 7H du matin, la brume matinale rend l'endroit encore plus féerique, voire complètement mystique. L'empereur Moghol aurait fait construire ce tombeau à la mort de sa femme. Dévasté par le chagrin, celui-ci aurait demandé à son meilleur architecte un palais aussi beau que sa douleur était forte. Il aurait même tué la femme de l'architecte pour que ce dernier ressente la même douleur que lui et construise donc un palais à la hauteur de ce chagrin...

Nous avons fait découvrir à la famille de Sophie, les traditions indiennes, la religion et ses dieux (Ganesh, a été sans hésitation le préféré et a accompagné tout notre voyage), la nourriture (le chaï, les samosas et surtout les garlic naan), mais également les jus de canne à sucre, les chiens errants et les vaches à l'abandon.


Le voyage en famille, fut fatiguant, quatre villes indiennes en 10 jours, quelques dizaines d'heure dans le train, mais c'était un moment très agréable et enrichissant. Aborder l'Inde en vrai touriste et en famille, nous a apporté un regard neuf sur ce pays.

Leur départ nous a fait un grand vide, d'autant plus qu'il a fallu se remettre au travail...
Le plus dur restant à faire... traduire nos cassettes ! Après quelques coups de fil et mails, nous avons fini par travailler avec une jeune indienne, dans les studios de France 2 Dehli. Moments une fois de plus très intéressants.

Notre périple s'est achevé sur une visite d'Haridwar, ville sacrée du pays. Lieu parfait pour dire au revoir à l'Inde et fêter la nouvelle année.
C'est en effet, la ville de Shiva, l'un des trois principaux Dieux hindous (une statue de 30m a été érigée à son honneur) et de Vishnou. Il y aurait déposé son empreinte dans la roche, preuve de son passage et de son attachement à cette ville située sur le Gange à quelques kilomètres de sa source. Nous étions donc à quelques centaines de mètres d'altitude, au pied de la célèbre chaîne de montagnes himalayenne. Au premier abord, cette ville fait penser à Varanassi (Bénarès). On s'y baigne, on y prie, on s'y marrie ou on s'y retrouve pour fêter la mort d'un proche... Pourtant, l'atmosphère est très différente. La foule y est bien moins importante et les crémations moins présentes. Et puis, le Gange a encore un aspect de rivière. Il n'a pas encore été pollué par les usines ou par les corps en décomposition. Même ce fleuve magique, qui contient 25 fois plus d'oxygène que les autres fleuves et a donc une gigantesque capacité de régénération, ne peut tout absorber et est donc l'un des fleuves les plus pollués du monde.

Nous avons pu filmer ces cérémonies et assister à la grande cérémonie du feu. Tous les soirs à la même heure, le fleuve s'illumine de petites coupelles de feu, emportées par le courant et chargées d'exhausser les prières des hommes.

Ce fut également l'occasion de parler avec des hindous. Pourquoi ce fleuve si sacré, qui est la mère de chaque hindou est-il si souillé, si pollué au point d'y avoir tué toute forme de vie dans certaines parties du fleuve ? A cela, ils nous ont parfois répondu que le Gange est un fleuve magique capable de tout absorbé. Il sait changer les eaux polluées en eaux pures...
Finalement, c'est peut-être ce qu'ils pensent aussi avec la terre, celle qu'ils considèrent aussi comme une mère est peut-être capable de pardonner et d'endurer tous les mauvais traitements de ses enfants ?

Finalement cette dernière étape, nous a encore montré que l'amour profond des indiens pour leur fleuve sacré ne les empêchent pourtant pas de le détruire. On ne sait pas quoi faire des égouts des villes, des déchets des usines ou du bout de papier qu'on tient dans la main alors on le jette sans même penser aux conséquences.


Sinon, petite anecdote... Bien souvent en Inde, on nous prenait en photo. Soit de manière cachée, soit en nous demandant notre accord. Chaque personne de la famille venait chacune son tour poser avec nous. Ils étaient parfois même très exigeants et nous demandaient de prendre des poses de top models. Il est même arrivé qu'on nous demande une photo avec leur bébé comme si on était une famille ! Et puis à Haridwar, alors que Sophie était en train de filmer, un groupe arrive et nous demande de prendre une photo. "D'accord pas de problème, mais sans Sophie, elle est en train de travailler". Ils hésitent, discutent puis insistent. "Désolé, c'est pas possible". Ils insistent encore et vont même jusqu'à venir la déranger pour lui demander directement car ils sentaient bien que Bertrand n'était pas d'accord ! Mais Bertrand est tenace "Non, désolé, elle travaille. Si vous voulez prendre une photo, y a pas de problème, je suis dispo !". Ils se regardent... et finalement ils sont partis !
Bertrand n'est toujours pas revenu qu'on ai pas voulu de lui sur les photos, il a compris à ce moment là que les quelques dizaines de photos où il avait posé en souriant gentillement... les gens ne les garderont même pas ! Dure réalité...

Le voyage s'est achevé par un retour à Delhi, où nous avons mangé nos derniers rotis, bu notre dernier chaï, passé la dernière nuit avec les cafards, failli nous faire arnaquer par notre dernier taxi.
5 mois de voyage s'achèvent ici, des images plein la caméra et plein la tête.