samedi 10 janvier 2009

L'Inde, le pays aux mille contrastes

C'est peut-être avant même de faire un bilan sur notre travail, le moment de faire juste un point sur notre voyage en Inde.
Nous ressortons d'un tel périple bien évidemment enrichis, des images plein la tête, mais pourtant avec une vision pour le moins mitigée de la société indienne. Ce pays est définitivement le pays des contrastes. Nous en avons fait une petite énumération :

- les couleurs : ce qui frappe l'œil en premier est souvent l'incroyable diversité des couleurs que l'on rencontre dans ce pays, aussi bien dans les temples qu'à travers les célèbres sarees ou autres courtas que portent les dames. C'est donc un défilé de couleurs et de paillettes qui se déloient devant nos yeux ébahis.
Pourtant, en même temps, on retrouve perpétuellement des murs, des rues, des hommes noirs de saletés. Le ciel de Delhi est toujours gris, emprisonné dans son nuage de pollution. Les journées où l'on voit le bleu du ciel sont exceptionnelles. Dans toutes les villes d'Inde que nous avons traversées, on pouvait voir au loin ce rideau de pollution, témoin de l'incroyable développement de l'industrie indienne.
L'Inde des couleurs existe bel et bien, mais bien souvent le film de la vie passe en noir et blanc.

- les riches et les pauvres : Environ 300 000 000 de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé à un dollar par jour (soit environ 26% de la population, soit 1 personne sur 4). Il est impossible de parler de tous les pauvres, les mendiants, les miséreux que nous avons croisés à Dehli, dans les campagnes ou partout ailleurs. Ceux qui se battent chaque jours pour un chapatti, un peu de riz ou quelques roupies.
Pourtant, l'Inde est aussi le pays des maharajahs, des palais les plus somptueux du monde. Les hôtels à 1000 euros ou plus la nuit ne sont pas rares. De même, il faut savoir que parmi les 10 personnes les plus riches du monde, on retrouve 4 indiens dont M. Mittal à la première place.
Ces gens ne vivent pas dans le même monde, bien qu'ils se croisent chaque jour dans les rues d'un même pays. Les uns dans leur superbe voiture pendant que les autres mendient à la fenêtre pour un ou deux roupies. Le fossé entre riches et pauvres est un des plus larges du monde. Comment de tels inégalités sont possibles ? Il est probable qu'en France les pauvres se seraient depuis longtemps soulevés pour réclamer une meilleure répartition des richesses. En Inde, les pauvres sont fatalistes, ils acceptent leur situation. Pourquoi ?
Parce que la société indienne est une une société fondée sur la hiérarchie et chacun doit rester à sa place. Aussi bien dans la famille que dans la société en général.
Pour vous faire comprendre cela, voici un passage du livre d'un jeune auteur indien, Aravind Adiga, dont le titre est : "Le tigre blanc". Le héros, fils de rickshaw, s'adresse au premier ministre de la république de Chine qui s'apprête à visiter l'Inde.

Monsieur Jiabao,

Monsieur,

A votre arrivée ici, on vous expliquera que les Indiens avaient tout inventé, d'Internet aux vaisseaux spatiaux en passant par l'œuf dur, avant que les Britanniques nous ddépossèdent de tout.
Foutaise ! La plus grande invention de ce pays au cours des dix siècle de son histoire est la Cage à poules.
Faites vous conduire à Old Delhi, derrière le Jama Masjid, et observez comment est confinée la volaille. Des centaines de poules blanchâtres et de coqs bariolés, parqués dans des cages en treillis, aussi entassés que des vers dans un intestin, se déquettent, se chient dessus et se bousculent pour avoir un peu d'air. Une puanteur horrible se dégage du poulailler : l'odeur de la volaille terrifié. Sur le comptoir de bois, au-dessus de la cage, un jeune boucher souriant exhibe la chair et les entrailles d'un poulet tout juste évidé et maculé de sang sombre. Dessous, ses congénères sentent l'odeur du sang. Ils voient les boyaux de leur frère. Ils savent que leur tour approche. Pourtant, ils ne se rebellent pas. Ils ne cherchent pas à fuir la cage.
Dans ce pays, on procède de la même manière avec les êtres humains.
Regardez les routes de Delhi, le soir ; tôt ou tard vous verrez un homme pédaler sur un rickshaw, avec un lit immense ou une table attachés à la remorque. Chaque jour, cet homme livre du mobilier. Un lit coûte cinq ou six mille roupies. En ajoutant les chaises, une table basse, on arrive à quinze mille. Or le livreur qui pédale sur son rickshaw et transporte ce lit, cette table, ces chaises, gagne à peine cinq cents roupies par mois. Il apporte le mobilier et le client lui remet la somme d'argent en liquide : une épaisse liasse de billets de la taille d'une brique. Il met l'argent dans sa poche, ou dans sa chemise, ou dans son slip, et il retourne le donner à son patron sans en prélever une seul roupie ! La somme qu'il a dans les mains représente son salaire de deux ans, pourtant il n'y touche pas.
Chaque jour, dans les rues de Delhi, un chauffeur quelconque conduit une voiture vide avec une grosse valise noir sur la banquette arrière. A l'intérieure de la valise, il y a un ou deux millions de roupies ; beaucoup plus que le chauffeur ne gagnera jamais dans toute sa vie. S'il prenait cet argent, il pourrait aller en Amérique, en Australie, n'importe où, et commencer une nouvelle vie. Il pourrait louer une chambre dans un hôtel cinq-étoiles dont il a toujours rêvé et qu'il n'a vu que de l'extérieur. Il pourrait emmener sa famille à Goa, ou en Angleterre. Pourtant il dépose cette valise à l'adresse indiquée par son maître. Il la dépose là où on lui a dit de la déposer sans en avoir pris une seule roupie. Pourquoi ?
Parce que, comme l'affirme la brochure du Premier ministre, les êtres les plus honnêtes du monde ?
Non, parce que 99.9% des Indiens sont emprisonnés dans la Cage à poules, comme leurs malheureux camarades à plumes du marché aux volailles.
La Cage à poules ne fonctionne pas toujours aussi efficacement avec des sommes d'argent minimes. Ne mettez pas votre chauffeur à l'épreuve avec une pièce de une ou deux roupies : il risque de vous la voler. Mais laissez un million de dollars dans un taxi de Bombay. Le chauffeur de taxi préviendra la police et déposera l'argent au commissariat avant la fin de la journée. Je vous le garantis. (Que la police vous rende ou non l'argent est une autre histoire.) Dans ce pays, les employeurs confient des diamants taillés qu'ils doivent convoyer jusqu'à Bombay. Pourquoi l'un d'entre eux ne vole-t-il pas la valise de diamants ? Il n'est pas Gandhi, c'est un être humain ordinaire comme vous et mi. Oui, mais il vit dans la Cage à poules. La fiabilité de la domesticité est le fondement de l'économie nationale tout entière.
La grande Cage à poule indienne. Avez-vous l'équivalent e Chine ? J'en doute, monsieur Jiabao. Sinon, vous n'auriez pas besoin du parti communiste pour éliminer les individus, ni d'une police secrète pour opérer des rafles nocturnes dans les maisons et mettre leurs habitants en prison ; c'est du moins ce qu'on raconte. Ici, en Inde, nous n'avons pas de dictature. Ni de police secrète.
C'est parce que nous avons la Cage à poules.
Jamais auparavant dans l'histoire humaine un nombre aussi restreint de personne n'a eu une dette aussi importante envers un si grand nombre, monsieur Jiabao. Ici, une poignée d'hommes a entraîné les 99.9 restants - forts, talentueux et intelligents dans tous les domaines - à vivre dans une servitude perpétuelle ; une servitude si forte que, si vous mettez la clé de son émancipation dans la main de quelqu'un, il vous la jettera à la figure en vous maudissant.
Venez vérifier par vous-même. Chaque jour, des millions d'indiens s'éveillent à l'aube, s'entassent dans des bus crasseux et surchargés pour rejoindre les maison huppées de leurs maîtres ; ils lavent le sol, récurent la vaisselle, désherbent le jardin, nourrissent leurs enfants, massent leurs pieds, tout cela pour une maigre pitance. Je n'envierai jamais les riches d'Amérique ou d'Angleterre, monsieur Jiabao : ils n'ont pas de domestiques. Ils n'imaginent pas ce qu'est réellement la belle vie.
C'est le moment où un homme de votre intelligence, monsieur le Premier ministre, doit se poser deux questions.
Un : pourquoi la Cage à poules fonctionne-t-elle ? Comment parvient-elle à enfermer aussi efficacement des millions d'hommes et de femmes ?
Deux : un homme peut-il s'évader de la cage ? Supposons par exemple qu'un chauffeur dérobe l'argent de son employeur et s'enfuie ? Quelle sera sa vie ?
Je vais répondre pour vous, monsieur.
La famille, voilà la raison de notre enfermement dans la cage. La famille indienne, fierté et gloire de notre nation, dépositaire de tout notre amour et de tout notre sacrifice, et sujet d'un paragraphe sans doute considérable dans la brochure de notre Premier ministre.
La réponse à la seconde question est que seul un homme prêt à voir sa famille détruite - pourchassée, battue et brûlée vive par ses maîtres - peut s'évader de la cage. Pour cela, il ne faut pas être une personne normale, mais un monstre, un dénaturé.
Pour cela, il faut être un tigre blanc. C'est l'histoire d'un entrepreneur social qui vous est contée ici, monsieur.

- La propreté : Sur ce sujet, les indiens sont très drôles ou décourageants, ça dépend des points de vue ! Les indiens sont toujours parfaitement toilettés, parfumés, bien habillés, et surtout bien coiffés. Il n'est pas rare d'en voir un se repeigner au milieu de la rue, dans un bus ou lorsqu'une belle fille approche ! Les femmes portent toujours de magnifiques sarees bien arrangés, bien propres et selon la saison assortis avec les magnifiques fleurs qu'elles mettent dans leurs cheveux.
Les seuls indiens qui négligent leur allure sont les pauvres. La différence est alors radicale : vêtements noirs de saleté et déchirés, cheveux sales, emmêlés. Certains ont même malgré eux des dreadlocks qui ferait pâlir les plus roots de nos villes.
C'est sûrement pour se détacher de cette population miséreuse que lorsque l'on a un peu d'argent on fait tout de suite très attention à son apparence physique en Inde. Étonnant lorsque chez nous, la mode est parfois aux coiffures négligées, aux pantalons troués, au style rockeur rebelle !
Ces indiens si frais et élégants se baladent pourtant tous les jours dans des rues à l'antipode. La merde de vache, les restes de nourriture, les papiers plastiques et la boue sont le tapis rouge de ces bonnes gens. Si les indiens font attention à eux, il n'en n'est pas de même pour leurs rues. Dans celles-ci, dans le train ou dans les bus, les poubelles n'existent quasiment pas. Tout passe par dessus bord sans aucun état d'âme.
Cela nous rappelle d'ailleurs une discussion avec deux étudiants indiens. L'un d'eux a remarqué que nous stockions nos papiers ou même nos sachets de thé encore humides dans notre sac en attendant de trouver une poubelle. Surpris, il insiste pour qu'on jette tout cela par la fenêtre arguant que ce n'est pas interdit, au contraire ! Nous avons alors essa de lui expliquer qu'on voulait éviter de polluer l'environnement. Ce à quoi ils ont répondu : "Mais si tu pollues pas l'environnement, tu pollues ton propre sac !!!"
Un indien rencontré dans le centre de l'IITPD, nous a très bien résumé la situation des indiens vis à vis de l'environnement en disant qu'ils ont une conscience de la propreté individuelle très développée, mais aucune conscience de la propreté collective.

- le respect et la sécurité : Encore un sujet très très étonnant !
L'Inde est un pays très sûr. Il n'y a pas tellement de délinquance ou de racket comme chez nous. En tant que journalistes-touristes-agronomes, nous ne nous sommes jamais sentis en danger. Les gens sont avenants, toujours ravis de nous aider ou de discuter un peu, et cela même dans les endroits les plus pauvres.
Pourtant, en parallèle, l'Inde subie fréquemment des actes d'une violence incroyable. Les attentats terroristes sont très nombreux (L'Inde est le deuxième pays du monde a être le plus touché par le terrorisme !) à cause des maoïstes, des dacoïtes ou autres fondamentalistes religieux, autant côté musulman que hindou.
Nous avons directement rencontré des personnes brûlées à la suite d'attentat à la bombe dans des bus. Les meurtres, pour règlement de compte, sont extrêmement fréquents ou en tout cas beaucoup plus qu'on pourrait l'imaginer dans le pays de la non-violence de Gandhi ! Les indiens qui a première vue sont souvent chétifs, doux et inoffensifs peuvent en réalité commettre des actes véritablement barbares ! Lorsque nous étions à Morena, notre ami Ramu nous a expliqué que son voisin d'en face a été assassiné deux mois plus tôt au coin de sa rue pour une histoire d'argent. La famille du défunt s'est retrouvée du jour au lendemain sans ressource et surtout sans justice car en Inde la justice se monnaye !
Cela nous amène à cet autre aspect sécuritaire qui nous a considérablement marqué : les flics. Ils ont toujours été très disponibles et très agréables avec nous, les étrangers. Pourtant, ce sont de vraies crapules avec les indiens ! Les flics indiens sont parmi les plus corrompus du monde. Assurément plus que les chinois. L'argent sale est le seul moteur qui
fait agir la police. Elle peut sans problème passer l'éponge sur un crime si le bakchich ou pot de vin est suffisamment cher. De la même façon, pour obtenir justice, il faut payer pour que les policiers dénigrent se déplacer pour enquêter. Au tribunal, c'est la même chanson : le plus riche gagnera le procès !
Ces hommes de justice qu'on croit naïvement si intègres sont pourtant dans la très grande majorité des cas de véritables crapules sans aucune morale.

- le côté spirituel : les indiens sont certainement parmi les populations les plus empreintes de religions au monde. Les traditions et la religion sont si importantes pour eux... mouais, enfin comme pour tous les croyants, quand ça les arrange !!!
Certes, la religion est importante, elle est même absolument omniprésente, mais ce ne sont pourtant pas des gens plus spirituels ou, du moins, plus réfléchis que d'autres. Les indiens sont extrêmement matérialistes. Et si la religion est importante, l'argent l'est encore plus. Tous les jeunes que nous avons rencontré rêvent de devenir "business man". Qu'ils fassent des études dans les nouvelles technologies, dans la science, dans les ordinateurs, dans la médecine, ou plus logiquement dans le commerce, ils veulent tous faire une carrière qui leur rapportera le plus possible. Résultat, la plupart embrassent des carrières de management et rares sont les musiciens, les peintres, les écrivains, sportifs ou même les journalistes. Pour vous donner une idée, l'Inde, qui a tout de même une population proche du milliard, n'a pas remporté une seule médaille d'or aux jeux olympiques, mais seulement une d'argent et une de bronze... ce qui est bien, mais pas top !
La religion hindoue a un rapport au monde très particulier. Elle déifie la nature, les arbres, la terre, le Gange, les vaches qui prennent alors une place étonnante dans la vie des indiens. Beaucoup de symboles comme ceux-ci sont vénérés et donc respectés. La terre, les vaches et le Gange sont, par exemple, considéré comme des mères pour les hindous. Ceux-ci prient chaque jour aussi bien au pied des représentations divines qu'aux pieds des arbres sacrés. Pourtant, ces gestes et ces croyances, répétés inlassablement ne semblent parfois n'avoir aucun sens. Beaucoup diront qu'ils prient chaque jour parce qu'il faut le faire... oui, mais encore ? Chaque hindou est baigné depuis sa plus tendre enfance dans cette ambiance religieuse. Pour eux, ne pas croire en Dieu est juste impensable. Tout le monde y croit, c'est tout. Cela fait partie de l'identité des familles. Tous les membres répètent ensemble, depuis des centaines d'années, les mêmes gestes, les mêmes rituels que l'ont transmet à la génération suivante. Si les vaches sont sacrées, c'est uniquement parce qu'on leur a dit que tuer une vache condamne à l'enfer ! Sans réfléchir, ils font donc la même chose que leurs parents. Personne ne peut leur en vouloir, ils n'ont jamais connu autre chose. Ce qui est sûr, c'est que les indiens remettent très rarement en question leur religion ou leur système. Ils exécutent et suivent plus qu'ils ne réfléchissent, non pas parce qu'ils sont bêtes ou n'en sont pas capables, mais juste parce que ça a toujours été comme ça. C'est le flot indien qui coule, coule, coule...
Pour nous, petits français, habitués aux grèves et aux revendications en tout genre, l'immobilisme indien nous a plus d'une fois révolté ! Mais que faire, c'est une différence de culture peut-être ?
D'ailleurs, en parlant de tradition et de religion, on peut difficilement ne pas vous parler des castes et de la place de la femme dans la société indienne...

- les castes : il existe en Inde quatre castes principales. Les brahmanes, caste des penseurs, sont sortis de la bouche de Brahma (dieu créateur hindou), les kshatriyas, caste des chefs ou des guerriers, sont sortis des bras de Brahma, vaishyas, caste des commerçants, sortis des cuisses de Brahma et enfin, il y a des sudras, caste des serviteurs, sortis des pieds de Brahma.
Il faut savoir qu'en Inde certaines choses, comme les pieds ou les excréments, sont impurs, pourtant il y a pire qu'être né des pieds de Brahma. Il y a les intouchables, ceux qui sont sortis d'on ne sait où et qui sont à peine considérés comme des hommes par le reste de la société. Parmi ces deux dernières castes, il y a des milliers de subdivisions selon les métiers des familles. Il y a la caste des fabricants de sucreries, la caste des coiffeurs et même la caste des charpentiers. La caste à laquelle on appartient apparaît dans le nom de famille des gens, si bien que lorsque deux personnes se présentent l'une à l'autre, elles savent de quelle caste appartient leur interlocuteur. Il est donc impossible de cacher son statut dans la société indienne. On ne peut pas trouver un emploi sans donner son nom de famille. Tricher serait déshonorer sa famille et de toute façon impossible parce que l'employeur vérifie souvent ces informations. Cependant, dans les grandes villes, un brahmane ne sera pas forcément professeur ou savant. Les choses s'assouplissent petit à petit, même si la tradition est encore très présente dans les villages. Pourtant, certains métiers sont encore partout réservés à certaines castes... et bien entendu il revient aux intouchables de se consacrer aux tâches "impurs" comme ramasser les déchets et nettoyer les rues. Il existe aussi une caste des "ramasseur d'excrément de vache". Naître dans une famille comme celle-là, c'est être condamné à ramasser des crottes de vache toute sa vie... Il est bien sûr inutile de dire que ces métiers sont rémunérés misérablement.
Les castes, officiellement abolies depuis l'indépendance, sont encore très bien ancrées dans la société indienne pour le meilleur et plus particulièrement... le pire !
A Morena, où nous étions dans le Madhya Pradesh, une fille brahmane est tombée amoureuse d'un garçon dalit, intouchable. Tous les deux se sont enfuis et se sont mariés loin de leurs familles. En représailles, le père de la marié a tué le frère et le père du marié pour "laver l'honneur de sa famille". S'en sont suivi plusieurs jours d'affrontements entre les deux communautés. Aujourd'hui, les mariés sont encore en cavale et le seront pour toujours. Si un jour ils revenaient, il ne ferait nul doute que la famille du brahmane tuerait le mari mais aussi leur propre fille.
Voilà encore un aspect controversé de la religion hindoue qui a créé cette hiérarchie sociale. C'est grâce à celle-ci que quelques puissants indiens ont réussi pendant des centaines d'années à contrôler une population servile qui ne voulait sûrement pas se soulever contre ses traditions car cela revenait à se soulever contre ses propres dieux !

- La démocratie et la politique : L'Inde se vante d'être la plus grande démocratie du monde. Certes... mais à quel prix ?
En Inde, la démocratie est parlementaire. Les lois nationales sont élaborées et votées à Dehli. Les gouvernements locaux, maîtres chez eux, on ensuite la liberté de les appliquer ou non. C'est pourquoi cette démocratie est rongée par une maladie presque incurable lorsqu'elle s'est propagée : la corruption ! Celle-ci est si ancrée en Inde, qu'un homme ou une société fortunée peut changer ou rester en dehors des lois sans avoir à craindre la justice (exemple de Coca-Cola, cf article à lire : "N'achetons plus Coca-Cola !"). Et lorsque les pressions communautaires entre en jeu, le cocktail devient explosif.
En 1998, le BJP, parti radical hindou, arrive au pouvoir et essaie d'instaurer
l'Hindutva, l'identité hindouiste, basé sur un idéal de pureté de la race indienne. " Une nation, un peuple, une culture " ou autrement dit "pas de place pour les autres cultures que l'hindouisme, dehors les minorités !". Quelques mois après leur accession au pouvoir, les nationalistes hindous ont saisi l'opportunité pour accentuer leur combat contre les musulmans (principale minorité avec 14% de la population). S'en sont suivi les plus féroces émeutes religieuses de la démocratie indienne où plus d'un millier d'indiens, dont une grande majorité de musulmans, ont été tués et même très souvent massacrés. Heureusement, ce parti n'est resté au pouvoir que quelques années, mais il reste aujourd'hui le principal parti d'opposition. La menace n'est surtout pas à prendre à la légère, surtout lorsque l'on sait que ce parti s'inspire des théories de la race pure Hitlérienne. Ainsi, dans le Gujarat où le BJP a pris le pouvoir, les manuels scolaires ont été modifiés pour apprendre aux enfants l'histoire de l'Allemagne nazi et la notion de race aryenne.

- La famille : Tous les indiens vous diront que la famille est une chose, sinon la chose la plus importante pour eux.
C'est vrai, toute la famille vit encore dans la même maison toutes générations confondues. Les jeunes obéissent prenant soins de leurs ainés. Pour sa famille, un indien serait prêt à faire n'importe quoi, parfois même le pire comme on l'a vu un peu plus haut.
Là encore, les familles sont très hiérarchisées. L'homme passe avant la femme et l'ainé avant son cadet. Si bien qu'un jeune homme juste majeur a autorité sur toutes les femmes de la maison excepté sa mère. Et comme souvent, ce sont les faibles qui trinquent : femmes et enfants.
Chez les pauvres, les enfants n'ont parfois que peu de valeur aux yeux de leurs parents. On en fait et ont les utilise pour avoir de quoi manger. En effet, les enfants mendiants, plus misérables, rapportent plus d'argent à la maison.
C'est pourquoi, les enfants des rues sont souvent attrappés par des mafias locales (contre lesquelles les parents ne peuvent rien lorsqu'eux-mêmes n'appartiennent pas aussi à ces mafias). La vie de ces enfants devient alors souvent un enfer. Ceux-ci sont battus s'ils ne ramènent pas assez d'argent et sont même parfois mutilés pour rapporter plus. C'est pourquoi il n'est pas rare de voir un enfant aveugle ou manchot faire la manche. Nous avons, nous aussi, côtoyé ces mafias. Un jour, dans un marché, un petit garçon de 7-8 ans, vêtu de haillons noirs de crasse, nous a suivi en tendant la main, en nous attrapant le bras et en gémissant pendant au moins cinq longues minutes. A bout, notre conscience dans les chaussettes, coupables de vivre dans le confort, nous avons craqué et lui avons donné cinq roupies. Son visage s'est éclairé. 5 roupies ! Ce n'est sûrement pas souvent qu'il pouvait se targuer de gagner autant ! Réconfortés par son sourire, la désillusion fut encore plus rude lorsque à peine 5 secondes plus tard, un adulte lui arrachait son billet en le frappant derrière la tête...
A la campagne, ce sont les petites filles qui sont tuées à la naissance ou avortées lorsque la famille a de quoi payer une échographie et cela bien que les lois anti-avortement interdisent aux médecins de révéler le sexe de l'enfant avant sa naissance ! Enfin, les enfants sont plus sensibles à la misère. 300 000 d'entre eux meurent chaque année de diarrhée, 65% des moins de 5 ans sont malnutris et 55 millions travaillent pour des employeurs autre que leur parents.
Les femmes... dès leur enfance, elles subissent de plein fouet l'injustice de la société indienne. 39,4% d'entre elles sont scolarisées contre 64,1 % des garçons. Ces inégalités sont localement parfois encore plus criantes ; avec seulement 20% de filles scolarisées dans le Rajasthan. Cette injustice c
ontinue dans la vie adulte à cause de la position sociale qu'occupe la femme dans la société indienne, ou plutôt dans la famille indienne. A sa maturité sexuelle ou légale, selon le degré d'éducation de la famille, les parents cherche un mari et une famille avec lesquels marier leur fille. Une fois mariée, celle-ci ira vivre dans la maison familliale de son époux. En échange de la prise en charge complète de leur fille, les parents doivent s'acquitter de la dot, bien souvent très difficile à payer. C'est à cause de cette dot, pourtant interdite depuis 1961, que les filles sont considérées par leur famille comme de véritables fardeaux. Les familles indiennes refusent donc très souvent de dépenser de l'énergie et du temps pour éduquer leurs filles qui iront vivre dans d'autres familles qui auront alors tous les droits sur elles.
En effet, une fois mariée, l'épouse doit subir les règles de sa nouvelles maison et surtout l'autorité de sa nouvelle belle-mère qui bien souvent en profite pour se décharger des souffrances qu'elle a elle-même subit. Tout est alors possible, de la violence morale à la violence physique en passant parfois, dans les cas extrêmes, par le meurtre (qui permet d'ailleurs de remarier son fils et d'obtenir une autre dot...). C'est ainsi que la police enregistre régulièrement de mystérieux cas de saree (grand tissu coloré que les femmes indiennes enroulent autour de leur corps) qui ont accidentellement pris feu dans les cuisines des maisons. Pourtant l'épouse est officiellement sous l'autorité de son mari que sa famille lui a choisi. Beaucoup de femmes réticentes à s'offrir à ce mari qu'elles ne connaissent pas, sont forcées à le faire... elles sont, autrement dit, violées. Les indiennes sont également parmi les plus battues au monde. 40 % d'entre elles le sont contre 20 % dans le monde ! Bien des femmes subissent quotidiennement les humeurs de leurs tyrans de maris, et paradoxalement, elles leurs doivent le droit de vivre dans cette société indienne.
En effet, les femmes n'ont d'existence sociale qu'à travers leur mari. D'après la religion hindouiste, les femmes sont des sans castes et ne sont reconnues que par le nom de famille de leur époux. Si bien que si celui-ci meurt, beaucoup d'entre elles se retrouvent du jour au lendemain abandonnées aussi bien par leur famille d'accueil que par leur propre famille. Ces femmes se retrouvent sans rien, dehors, avec leurs enfants sur les bras, réduites à la mendicité. Heureusement certaines familles affrontent le regard de la société et accueillent leurs filles dans leur foyer maternel, mais d'autres ont un moyen encore plus radical de résoudre le problème. Ces dernières considèrent que l'épouse doit suivre sont mari jusque dans la mort. Elle est donc brulée au côté de son défunt mari, sauf qu'elle... est encore vivante. Heureusement, ces pratiques d'un autre temps sont de plus en plus rares et ont même complètement disparu dans les villes ou dans certaines régions.
Au delà de ces hiérarchies familiales qui pour nous, occidentaux, sont incompréhensibles, c'est toute la société indienne qui est hiérarchisée selon le même modèle. Les hautes castes ont tous les droits vis à vis des sous-castes. Nous avons vu des indiens être injurieux, voire agressifs envers d'autres indiens "inférieurs". Ces derniers n'osent même pas penser que c'est injuste ou infondé. Au contraire, ce qui frappe en Inde, c'est le défaitisme des pauvres. Ils sont pauvres, méprisés, marginalisés et pourtant ne ressentent aucune amertume, aucune injustice, ni aucune ambition future car être pauvre est, tout simplement, leur destin. Nous avons demandé à un sans-terre dalit (une minorité hors caste) s'il ressentait de l'injustice face à ses grands propriétaires terriens qui accumulent les hectares et les richesses de son village. Très philosophe, dans une attitude déconcertante de sérénité, il nous a répondu, un peu étonné de notre question, que non, que chacun sur cette terre avait une destinée. Celle des grands propriétaires étaient d'être riches, la sienne d'être pauvre. La seule chose qu'il pouvait faire, c'est prier les dieux pour avoir plus de chance dans sa prochaine vie. Parce qu'être hindou, c'est avoir sept vies. Sept vie, comme autant de chance de sortir du cycle des réincarnations et atteindre le nirvana. Si dans sa vie, on a été mauvais, on se réincarnera pauvre, animal, insecte ou plante. Si au contraire, on a été bon, on se réincarnera plus riche dans une haute caste. Et enfin, si on a été aussi bon qu'un saint, on atteindra le nirvana. Alors lorsque le sort s'acharne sur vous, c'est certainement parce que vous avez été mauvais dans la vie précédente. Autrement dit, vous l'avez bien mérité alors pourquoi iriez-vous vous plaindre ?

La société ind
ienne est très complexe et différente de la nôtre. Il est très facile de la critiquer comme nous venons de le faire, avec notre regard de gentils et bons français, élevés dans le pays des droits de l'homme. Ce n'est pas le procès de l'Inde que nous faisons ici. Nous avons simplement voulu rappeler, que l'Inde n'a pas uniquement le statut de pays magnifique que les touristes lui attribuent, car ils oublient souvent quelques aspects bien plus critiquables.
Mais malgré les remarques que nous venons d'énumérer, l'Inde a définitivement marqué nos vies et notre regard sur les différences culturelles. Ce pays a une puissance indescriptible qui attire et nous savons que, si nous avons l'occasion, nous retournerons sans hésitation apprendre de ce pays aux mille contrastes.

6 commentaires:

Unknown a dit…

salut c super ce que vous faites

Anonyme a dit…

Bon article, merci.

Anonyme a dit…

Bravo c'est un super article. Bien résumé et très pertinent.

Unknown a dit…

je recherchais un article conceptuel sur l'Inde, je l'ai trouvé ici. Merci à vous pour cet article sincèrement objectif

Anonyme a dit…

j ai vraiment appris enormement grace a votre article, bien ecrit et instructif .
merci, bonne continuation et pardon pour les accents , qwerty oblige.

Anonyme a dit…

mairci a vous quatres pour sept article biun raidiger